Mais quelle bouffée d’air frais! L’oeuvre Ciseaux est une création de Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau (co-fondatrices de la compagnie Pleurer Dans’ Douche), qui donne tout son sens au principe de spectacle vivant. On sent que la salle s’amuse, avant même que le spectacle commence, c’est une foule allumée qui acclame les artistes. 

©Katya-Konioukhova

La puissance de ce spectacle c’est la présence. Le public fait partie de la fête : à l’aide d’un pistolet Gay-dar les comédiennes viennent nous rencontrer dans les gradins, on ne peut s’empêcher de rire. On sent qu’elles ont plaisir à jouer, à être ensemble, la complicité est contagieuse. Lorsqu’elles diffusent le générique de The L Word, on devient toutes des soeurs des années 2000. On notera aussi que la Cinquième Salle est particulièrement propice à créer une ambiance d’agora, grâce aux gradins en arc de cercle, le rapport scène-salle est bon enfant. Les situations s’enchainent dans un rythme intelligent. Les artistes prennent le temps d’embrasser les temps de rire, et même d’attribuer une minute de silence pour la communauté en Palestine. Nous avons donc passé un moment ensemble. N’est-ce pas là le fondement du théâtre? 

L’humour est ici un trait d’intelligence, il désamorce les doutes. Elles évoquent de vraies questions qu’on peut se poser en tant que personne queer,  tel que l’accès à la parentalité. C’était hilarant de voir le donneur de sperme masqué avec son côté sauveur et mystique, et surtout le fait qu’elle quitte la scène comme un vampire crapuleux. Le cliché devient un terrain de jeu. Aussi, elles incarnent les voix des villes pour mener un magnifique travail de mémoire. En cette semaine de festival de la Fierté de Montréal, le spectacle Ciseaux nous fait découvrir les luttes pour les premiers bars réservés aux lesbiennes. On a besoin de lieux pour se revendiquer. Bien entendu, le monde de la nuit a son lot de bagarres desinhibées qui peut nous faire rire. Mais c’est surtout le chemin vers une liberté qui dérange. Cette folie douce est expliquée dans plusieurs scènes, et extraits documentaires. 

On peut aussi saluer le talent des conceptrices du spectacle Ciseaux. La marionnette de bébé-homme est excellente, encore une fois on peut rire de la politique, et les perruques ont défilés sous nos yeux. Les costumes sont tout simplement géniaux, la conceptrice Angela Rassenti nous offre toute une palette de caricatures contemporaines, et justement, le duo est rendu maître dans l’art du travestissement. Tout en pierrage noir, les juste-au-corps font penser au patinage artistique, ou bien à des « signé catseyes », panthères de la nuit, des malices de la police! Très belle conception lumière de Joëlle LeBlanc, notamment un magnifique contre-jour qui traverse la robe de la sorcière, avec des flammes picturales tout autour. Le mapping d’archives de Joy Boissière et Kimura Byol est graphiquement intéressant, et le décor , par Jeanne Dupré, composé de deux podiums, permet de créer des belles symétries qui s’assemblent et se déconstruisent à l’infini. Les vibrations de la conception sonore de Marie-Frédérique Gravel nous emportent, et nous immergent dans ce Montréal des années 90 et ses bars aux vitres embuées de transpiration dansée.

Du 5 au 7 août 2024 à la Cinquième Salle, Place des Arts de Montréal.