Crédit photo : Maxime Côté

RÉSUMÉ – Deux enfants électriques, tissés d’un même fil, qui ne peuvent être séparés sans que tout n’explose. Ils ont violemment besoin d’exister dans le regard de l’autre, d’y allumer des étincelles, comme s’ils étaient sur le point de disparaître. Armés d’un roman, ils jouent à «partir», mettent en scène ce qu’ils n’osent se dire pour de vrai. Les mots de Cocteau sont prétexte pour se défier, se provoquer, s’envoûter. La chambre devient champ de bataille, théâtre d’opération chirurgicale, salle de supplice pour soutirer des aveux… Au fil des années, le jeu prend de la vitesse. Un soir, le jeu va trop loin. Le fil est coupé. Après des années de silence, Carl et Cindy se retrouvent face à face.

Le Théâtre à Corps Perdus fête cette année ses 15 ans d’existence, ce qui est, et ce n’est pas peu dire, assez rare pour une compagnie de se rendre à autant de bougies à son actif. Dirigé avec audace par Geneviève L. Blais, la compagnie a su, au fil des ans, trouver sa place dans une dramaturgie du in situ. Somnambules est la dixième création du TaCP et s’inscrit dans une série de trois spectacles intitulée NOCTURNALES (après Local/Unit B1717 crée en 2018 aux Entrepôts Beaumont).

Somnambules se déroule cette fois-ci dans une maison entre les quartiers Outremont et Côte-des-Neiges, à deux pas de l’hopital Ste-Justine. Je ne sais pas si ça ne venait que de moi, mais le fait de me rendre à pied à cette maison dans une température relativement froide avec une fine neige tombant du ciel ajoutait de l’onirique à l’expérience. C’est par groupe de 12 spectateurs maximum que nous ferons le parcours dans cette maison, passant d’une pièce (et d’un univers) à l’autre en quelques pas. Il faut d’abord souligner l’investissement total des concepteurs.trices et de la metteure en scène car leur travail nous permet de pouvoir non pas assister à des tableaux vivants, mais bien d’en faire partie. Certaines pièces (celle avec les plantes ou encore celle avec du sel – je n’en dis pas plus pour ne pas gâcher la surprise) sont magnifiques. Les éclairages sont minimalistes mais efficaces, permettant de rester dans l’onirisme dans lequel nous transporte la pièce. Il y a de plus un réel travail sur la matière (sel, sable, sucre, glace…) qui est plus que le bienvenue. En ce qui concerne la géographie des lieux (référence à des commerces ou des rues avoisinantes), elle s’ajoute à une multitude de détails qui viennent enrichir cet univers. De ce côté, Geneviève L. Blais nous prouve une fois de plus sa maîtrise d’oeuvre en ce qui concerne le travail in situ (on sent quelques obsessions revenir d’une pièce à l’autre, également).

Il faut savoir que Somnambules est une adaptation à partir du livre Les Enfants terribles de Jean Cocteau. Bien que l’on retrouve du livre la relation frère-soeur et leurs jeux (toujours de plus en plus dangereux, ayant souvent pour but d’irriter l’autre), certains aspects restent flous voir incompréhensibles pour les spectateurs.trices. On comprend que leur relation évolue au fil des années et se complexifie, cela dit certains éléments ou certaines clés manquent et ne nous permettent pas de nous faire une idée totale du récit. Le dédoublement de rôles que les personnages enfants se donnent n’aident pas toujours à la compréhension du récit. Les personnages plus âgé.es sont-ielles Cindy et Carl à la vieillesse ? Qu’en est-il de l’utilisation de la vidéo (qui, même si marquante et ingénieuse, n’est pas toujours pertinente et rajoute un peu plus de confusion au récit – et parfois même brise un peu ce sentiment de chaleur et d’intimité amené par la présence rapprochée des comédien.nes) ? Même si l’on se doute que l’univers cherche à être plus onirique que réaliste, on sort de la représentation avec plus de questions que de réponses en tête, notamment parce que la chronologie prend un peu le bord vers le 3/4 de la pièce. D’un point de vue dramaturgique, certaines choses sont en contradictions. L’adaptation-collage aurait peut-être gagnée en clareté si elle avait été fait par une personne extérieure au projet – histoire de permettre à un regard d’auteur.trice de laisser sa trace et ainsi lever le voile sur les points flous du récit.

Cela dit, si vous êtes adeptes de projets immersifs vous serez servis, car l’équipe de Somnambules est totalement investie dans le processus et arrive à vous faire vivre de beaux moments qui ne laisseront pas indifférents (arrivé chez moi j’ai même découvert que j’étais reparti avec une chaussette dans ma capuche de chandail (désolé!) – clin d’oeil à la scène dans la buanderie). Malgré les lacunes dramaturgiques, le projet reste agréable dans son ensemble et on appréciera les quelques références à l’univers de Cocteau (les miroirs, notamment).

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ÉQUIPE DE CRÉATION

Écriture, collage et mise en scène : Geneviève L. Blais

Scénographie, costumes et objets : Fruzsina Lanyi

Dramaturgie : Marc André Brouillette

Conception vidéo : Sylvio Arriola

Conseiller artistique : Éric O. Lacroix

Assistance à la mise en scène et coaching des jeunes interprètes : Félix Emmanuel et Camille Denêtre

Installation vidéo et régie : Francis-Olivier Métras

Interprètes : Marie Cantin, Sylvie De Morais, Alain Fournier, Étienne Pilon ainsi que (en alternance) – Louka Amadeo Bélanger, Zackary Villeneuve, Alex-Aimée Martel, Rose Longchamps, Edelweiss Moutier, Marie-Maxim Landry, Marek Cauchy-Vaillancourt, Brendon Tremblay

Calendrier des représentations et réservations : acorpsperdus.com

Plusieurs rendez-vous par soir.

Pour plus d’info: www.acorpsperdus.com

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Crédit photo : Maxime Côté