Sur quoi repose la société de l’Internet? Quels enjeux environnementaux et sociaux soulève le bonheur de la connexion permanente? À quels renoncements, à quels sacrifices mène la numérisation de nos vies? Les technologies se sont multipliées sans véritable délibération sur leurs implications sociétales. Dans ce conditionnement généralisé, nous nous sommes résignés à ce que le numérique façonne notre existence.
L’ambition de cet essai est d’ouvrir le débat sur ce sujet, mais aussi de faire découvrir des auteurs passionnants (Jacques Ellul, Hartmut Rosa, Philippe Bihouix, Bernard Charbonneau, Jaime Semprun…) afin de prendre la mesure de cette démesure qui semble achever l’expropriation des humains d’eux-mêmes et la destruction du monde vivant. Ce pamphlet, véritable critique radicale de l’Internet et de la société technicienne, se mêle à un récit de vie élaboré à partir d’une observation attentive des transformations de nos vies quotidiennes au travail, dans l’espace social et dans le domaine privé.
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En 2013 est né un réseau, baptisé Écran Total. Ce réseau crée par des citoyen.nes a pour but de lutter contre le souverainisme numérique dans différentes strates de leur vies, principalement au niveau de l’emploi. Tout commença avec le refus d’un certain nombre d’éleveurs.euses de pucer leur bétail en fonction des directives européennes, suivi par le refus d’assistant.es sociales de faire leur rendu annuel statistique (visant à collecter des données sur les »usagers ») et le personnel de l’Éducation nationale refusant que leur pédagogie soit assistée par ordinateur. Écran Total agit comme réseau à toutes ces cellules de résistance qui refusent que le numérique gouverne leurs vies.
Hervé Krief est d’abord compositeur. Mais quand il est tombé sur ces phrases de George Orwell…
»Ce qui me pousse au travail, c’est toujours le sentiment d’une injustice, et l’idée qu’il faut prendre parti. Quand je décide d’écrire un livre, je ne me dis pas : »Je vais produire une oeuvre d’art. » J’écris ce livre parce qu’il y a un mensonge que je veux dénoncer, un fait sur lequel je veux attirer l’attention… »
…l’envie d’écrire un livre lui est venu en tête. Publié tout d’abord aux Éditions du Quartz (qui éditaient avant les partitions de Krief), le livre a vu le jour en 2018. Paru en édition limitée, sans ISBN (suite au refus d’utiliser internet et autres réseaux d’informations électroniques pour en faire la promotion), tout s’est fait doucement. Personne n’est venu au lancement et cela pris une seule critique dithyrambique pour que le livre fasse parler de lui – jusqu’à devenir un petit succès national qui finirait par atteindre les oreilles de la maison d’édition Écosociété (et qui décidera de ré-éditer son livre en 2020, pour notre grand bonheur).
Il faut tout d’abord dire que ce court essai d’un peu plus de cent pages ne fait pas dans la dentelle. Le ton est clair, direct. Le sujet est tellement actuel qu’il est anxiogène. L’auteur profite de ces pages pour faire un retour en arrière jusqu’au début du XVIIIème siècle et la Première Révolution industrielle. Dans ce livre, Krief nous montre comment la création d’outil (qui reste un des grands talents de l’être humain) amène toujours son lot de bons et de mauvais côtés. L’exemple classique est celui du paysan qui raclait la terre à la bèche. Depuis l’apparition des machines permettant de faire ce travail sans forcer, une atrophie a commencé à s’opérer. Le paysan fini par perdre en force puisqu’il ne se sert plus autant de son corps et de ses muscles pour entretenir la terre. L’exemple peut être transposé à une infinité d’exemples dans nos vies depuis les deux cents dernières années. Avec l’accélération exponentielle des avancées technologiques, nos vies deviennent (pour les pays industrialisés du moins) de plus en plus faciles, mais également rapides et étourdissantes. Les métiers se transforment, les modes de vies aussi. Internet est l’apogée de cette courbe.
Dans cet essai, Krief nous dévoile tous les côtés (surtout les mauvais) de l’Internet : comment le cerveau en devient à être moins fonctionnel (par exemple notre capacité de rester attentif à quelque chose, qui diminue encore et toujours), comment les humains sont maintenant traités comme des informations numériques, la communication qui devient le nerf de tout mais qui, étrangement, éloigne chaque jour les êtres humains d’eux.elles-mêmes et de leur société, ce que représente en coût et en énergie une structure comme celle d’Internet, les déchets horriblement polluants, l’oligarchie des GAFAM, l’obsolessence programmée, etc…
Longue histoire courte : nous sommes dans de beaux draps et il n’est vraiment pas certain que nous puissions nous en sortir. Rien de nouveau sous le soleil. C’est malheureusement un sentiment qui peut nous habiter en lisant l’essai puisqu’il n’y a pas grand chose qu’on se sache pas déjà, à quelques détails près. Quoiqu’il en soit, la parole n’est pas moins pertinente. Le problème est réel. Ainsi, on cherche des solutions à ce problème (qui est beaucoup plus grand et profond que l’on pourrait s’imaginer).
On se dit souvent qu’il vaut mieux passer au numérique plutôt que de tout faire sur papier, mais ce qu’on oublie est que le numérique aussi à un impact. La pollution numérique existe bel est bien. Pour qu’Internet fonctionne, il faut des disques durs et des réseaux qui ne plantent jamais. Pour les alimenter, il faut de l’électricité. Pour que les matières précieuses servant aux ordinateurs soient extraites, il faut du pétrole pour nourrir les dites machines (et la plupart du temps ces mines de métaux précieux sont en Amérique du Sud et en Afrique, dans des pays tenus encore sous le joug de l’industrialisation sauvage des pays occidentaux – les principaux élus étant bien sûr, et comme toujours, le Canada, les USA, la France, l’Allemagne et compagnie).
Ainsi, nous sommes profondément dépendant.es à l’électricité et au pétrole si nous voulons qu’Internet continue de fonctionner tel quel. Malheureusement, notre consommation numérique (streaming, envois de courriels/messages textes, utilisation des réseaux sociaux, stockage massif de photos et vidéos – entres autres) ne fait qu’augmenter de manière exponentielle jusqu’à ce que nous atteignons un jour un point de non-retour (qui est peut-être beaucoup plus proche que l’on pense). Qu’adviendra-t-il à ce moment-là ? Le pire est à imaginer puisque notre civilisation repose aujourd’hui presque exclusivement sur l’Internet.
On termine le livre avec une minuscule touche d’espoir, ce qui est toujours ça de pris. Même si on apprend pas de grand secret sur la machine Internet, l’essai nous permet néanmoins de faire le point sur la situation. Malheureusement, les solutions pour s’en sortir en tant qu’espèce ne sont pas nombreuses, et souvent hors de portée, puisqu’il faudrait complètement revoir le fonctionnement de nos vies qui tient presque exclusivement sur le numérique. Quels privilèges serons-nous prêt à abandonner pour que notre civilisation continue d’exister ?
PARUTION
CANADA
FÉVRIER 2020
PRIX
12$
NOMBRE DE PAGES
120
ISBN
978-2-898719-558-8