L’excellent film Le club Vinland est sorti dans les cinémas du Québec vendredi dernier, le 6 août, après deux ou trois tentatives, la pandémie empêchant sa sortie. Le club Vinland procédait enfin à son tapis rouge, lundi le 2 août dernier. J’y étais, avec mon ami Richard Alain Senneville, pour vous et nous avons rencontré quelques-unes des vedettes du film. Voici nos entrevues avec Benoît Pilon, Arnaud Vachon, François Papineau, Sébastien Ricard et Rémy Girard.
Benoît Pilon (réalisateur et l’un des trois scénaristes)
Éric Côté : D’où est venu l’idée de faire un film avec un professeur avant-gardiste?
Benoît Pilon : Nous sommes trois co-scénaristes mais l’idée de départ vient de Normand Bergeron. Il a eu cette idée-là, il y a plusieurs années et il a commencé à faire le scénario. Il a approché la productrice et ensuite Marc Robitaille. Moi je suis arrivé comme réalisateur et puisque je réagissais au scénario, je me suis joint à l’équipe de scénaristes. L’idée de départ tournait autour des fouilles archéologiques et les vikings, le premier scénario s’appelait « Artéfacts ». Le personnage du professeur s’est développé au cours des versions pour en faire ce bonhomme-là, qui est un enseignant inspirant, comme on a tous un peu eu dans notre vie.
E.C. : Le pourquoi des remerciements dans le générique à la fin.
B.P. : Oui exactement. Quand j’ai parlé de ça à d’autres, tous me disaient le nom d’un enseignant qui a compté dans son parcours, qui a fait qu’un moment donné on a choisi une voie ou qu’on a pris confiance. Et donc, ça je trouvais que c’était un thème très intéressant et aussi encore très actuel, universel et intemporel. Nous avons travaillé dans le sens que le film soit divertissant, qui raconte une histoire avec des jeunes qui peut être amusante, qui peut avoir une certaine profondeur, qui a des éléments de suspenses un peu quand on cherche l’artéfact. Mais en même temps, qui rend hommage à l’importance des professeurs dans la vie de tout le monde.
Richard Alain Senneville : Et de les mettre dans un contexte de pensionnat et que le frère Jean qui est comme un peu anticlérical, il se rebelle un peu contre…
B.P. : Oui mais je ne dirais pas anticlérical, je pense que c’est un homme de foi. C’est un homme qui dans n’importe quel système, il y a des choses à remettre en question, à critiquer. C’est un homme comme il y en a eu au Québec, à cette époque-là, qui ont voulu faire avancer les choses. Il y a plusieurs exemples. Ce ne sont pas des gens qui étaient anticlérical mais qui disaient : Il faut que l’Église bouge, que l’Église soit de son temps. Il y en a plusieurs qui étaient conservateurs mais quelques-uns étaient avant-gardistes, comme le frère Jean.
R.A.S. : Et le frère directeur l’est aussi dans un certain sens, parce qu’il l’appuis mais d’une façon…
B.P. : Oui, mais lui, il est pris entre l’arbre et l’écorce. Il n’a pas le choix, il est dans la hiérarchie, dans un personnage qui doit garder le contrôle sur son école pour faire plaisir aux supérieurs de la congrégation mais en même temps, il a connu le frère Jean vers l’âge de 12 ans, lorsqu’il est arrivé au pensionnat avec sa valise jaune. Il l’a vu grandir, lui a enseigné et l’a vu revenir au collège comme enseignant. Il l’aime comme un fils et voudrait lui rendre la vie plus facile. Mais il n’a pas le choix de lui dire un moment donné que là, ça va trop loin.
R.A.S. : La mère de famille, qui est aussi un peu avant-gardiste pour l’époque, parce qu’elle veut que son fils, Émile, ait une meilleure éducation qu’elle et son conjoint décédé. C’est comme, on n’a pas vu ça…
B.P. : Oui mais en même temps, on est en 1949, dans l’après-guerre. Ce qui s’est passé au Québec, pendant la guerre, beaucoup de gens étaient parti et les femmes travaillaient dans les usines. Les femmes ont commencé à avoir un rôle plus important dans la société après la guerre : elles ont commencé à fumer, elles ont commencé s’émanciper. Elles ont goûté à une certaine autonomie parce qu’elles ont travaillé, elles ont eu un salaire. Et tranquillement, les mentalités ont commencé à changer sur le rôle de la femme dans la société.
E.C. : Ce film me touche beaucoup puisque je suis moi-même enseignant en arts plastiques. De voir l’élève écrire à son professeur, trente ans plus tard, pour lui dire comment il l’a aidé à devenir ce qu’il est devenu, j’en ai eu les larmes aux yeux. Je me sens beaucoup comme le frère Jean car moi-même je dérange un peu auprès de certains collègues.
B.P. : Oui! De dire : « Regardez, c’est grâce à vous si je suis rendu là », et de voir comment le professeur est touché de voir, même s’il avait l’impression d’avoir fait tout ça pour rien, que à quelque part, ça a servi à quelque chose.
E.C. : J’ai bien aimé le film. Merci.
B.P. : Merci à vous aussi, je suis content que vous ayez aimé.
Arnaud Vachon (Émile Lacombe)
E.C. : Toi, c’est ta première expérience de film?
Arnaud Vachon: Oui, c’est ma première expérience tout court. C’était mes premières auditions, mes premiers castings, premier rôle, premier tournage, premier de tout.
E.C. : Donc en voyant le renard, tu pleurais pour vrai?
A.V. : Je pleurais pour vrai, oui. Chaque scène que je pleurais, je pleurais pour vrai. C’était des vraies larmes.
E.C. : Le film a été tourné il y a deux ans je crois?
A.V. : Ça fait deux ans et demi.
E.C. : Est-ce que tu veux continuer d’acter?
A.V. : Oui, je veux devenir acteur, depuis tout le temps. Je regardais les films au cinéma et je me disais : C’est dont bin cool de jouer dans des films, mais je sais pas si j’aurais fait les démarches pour. Pour le film, ma mère a vu ça sur Facebook et a dit : « Arnaud, vas-y! ». J’ai essayé, j’ai pris ma chance. C’est sûr aux auditions ça se passait bien. Je commençais à aimer ça. Et là j’ai eu le rôle, j’étais full content. C’était mon rêve.
E.C. : Là tu es au secondaire?
A.V. : Non je viens de terminer. Je m’en vais au CÉGEP cet automne en cinéma. Au secondaire j’étais en théâtre et dans l’improvisation.
E.C. : Je ne crois pas avoir vu ton nom au générique, remerciant un ou une enseignante qui t’a marqué.
A.V. : Non, ils me l’ont pas demandé. Ils se sont peut-être dit que vu que je suis jeune, je n’ai pas de professeurs (rires).
E.C. : En aurais-tu un qui te vient en tête?
A.V. : J’ai beaucoup de professeurs quand même qui m’ont inspiré. En fait, il y a celui qui me parlait beaucoup de l’histoire du Québec et de la francophonie, le cinéma québécois aussi. Il y avait M. Bobby en 6e année, qui m’a un peu initié à ça. Lui il nous a parlé de La chasse galerie, c’est un peu « ruff » mais je trouvais ça vraiment cool. Au secondaire, il y a eu Éric Côté, mon professeur de français…
E.C. : C’est bizarre parce que je m’appelle Éric Côté aussi et je suis également professeur, mais en arts plastiques par contre.
A.V. : Ah ouen! (rires) Il y a aussi Caroline Boucher, ma professeure de science. Elle est super cool, elle m’a encouragé dans ce que je fais.
E.C. : Moi je te dirais : Continue, tu as vraiment du talent. Tu es entré vraiment bien dans la peau du personnage, on le sentait.
A.V. : Un gros merci.
François Papineau (frère Cyprien)
E.C. : Il y a des personnages qu’on aime et d’autres un peu moins…
François Papineau : Ah oui lesquels? (rires)
E.C. : Vous avez vraiment bien fait votre personnage.
F.P. : C’est sûr que je ne suis pas habitué de faire la promotion de ces gars-là. (rires) C’est un personnage que j’ai pas essayé… Je me suis dit le film en a besoin, faut que je le fasse. Je me serais pas écrit un personnage de même pour moi, pour le fun. C’est parce qu’on me l’a demandé, j’ai fait ok j’y va.
E.C. : Vous vouliez relever le défi de ce personnage-là, habituellement vous avez des rôles plus gentils…
F.P. : Oui mais c’est un travail que j’accepte dans la vie.
R.A.S. : Et en rentrant dans un rôle comme vous avez joué, dans quel état d’esprit vous êtes-vous placé? Est-ce qu’il y avait une référence que vous aviez?
F.P. : Il n’y a pas réellement de références à part celles que l’on peut tous avoir. Heureusement, il y a certaines scènes qui ont été coupées, parce que ça devenait un peu trop évident, un peu en arrière-plan de cet aspect-là, qui ne devait pas prendre toute la place puisque ce n’est pas ça du tout l’histoire. Mais, moi-même d’avoir à faire ça, de jouer des scènes avec le jeune acteur, il y avait quelque chose qui me rendait honteux, même sur le plateau. C’était une situation plate, il fallait que je fasse ça. C’est sûr, c’est ma job, pis je vais le faire. Mais veux, veux pas, il y avait quelque chose qui me rendait un petit peu honteux d’avoir à assumer mon jeu face à ce jeune-là. Je trouvais ça intense.
E.C. : Le personnage est vraiment contraire à vous.
F.P. : Exact.
Sébastien Ricard (frère Jean)
E.C. : Nous avons vu le film ce matin, on a vraiment aimé.
Sébastien Ricard : Ah formidable, formidable!
R.A.S. : Le jeux de frère Jean, que j’ai trouvé un peu rebelle face à l’autorité…
S.R. : C’est comme une rébellion « soft » mais pour l’époque ça correspond bien mais c’était écrit comme ça, parce que c’est pas comme aujourd’hui où on dirait plus « Fuck you frère supérieur ». C’est équilibré.
E.C. : Vous êtes-vous inspiré d’un personnage ou d’un professeur pour entrer dans votre personnage?
S.R. : Non pas vraiment, je trouvais que le rôle était super bien écrit. Quand j’ai lu le scénario, je trouvais que toute était là. C’est drôle parce que, en ce moment, je lis plein d’affaires qui me font penser à mon personnage. L’histoire du Québec c’est dans le fond des histoires qui ont existé, comme par exemple un livre de Maurice Séguin, un historien québécois, où il est question de François Hertel, le père Duguay, qui a eu un impact considérable sur toute une génération d’intellectuels du Québec. Il y a Trudeau, Camille Laurin, toute une génération du même âge qui ont été en contact avec ces hommes-là. C’est des figures qui existaient et qui avaient ce genre d’approche-là, qui fait que le Québec a été amené à changer.
R.A.S. : D’ailleurs frère Jean, lorsqu’il défait la salle du club Vinland, il dit au frère directeur que les choses doivent bouger. J’étais surpris que ce soit déjà là, fin des années 40.
S.R. : Ben, par exemple pour revenir à Maurice Séguin que je lis, à l’époque son directeur de thèse était Lionel Groulx. C’est l’historien en chef, on dit qu’il a tout écrit, qu’il n’y a plus rien à dire sur l’histoire. Et là on a Maurice Séguin qui arrive avec sa thèse qui contrôle totalement les idées de Lionel Groulx. Donc c’est une époque où dans les années 40, avant la guerre, ça commence à brasser pis il y a un certain conservatisme qui va être bâti. Mais la scène avec le frère directeur, elle est très juste car c’est le seul moment où il monte le ton un peu mais c’est un fait qu’il l’adore. Donc il peut le faire avec Rémy Girard à ce moment-là. Il peut « laisser haïr plus son chien » devant quelqu’un qui va lui pardonner de toute façon. C’est une chose qui montre à quel point c’est bien écrit. J’ai également beaucoup d’admiration pour les enseignants.
R.A.S. : Dans le film un moment donné, on sent comme un rapprochement entre le frère Jean et la mère d’Émile. J’avais comme l’impression qu’il y aurait peut-être une histoire d’amour entre ces deux personnages.
E.C. : Oui je m’en suis rendu compte également. Là où le frère Jean demande à la mère s’il elle avait songé à se remarier.
S.R. : Ah oui! Non, mais c’est beau ce qu’elle lui répond, comme quoi elle n’a pas vraiment le temps de penser à ça en ce moment, elle doit payer le loyer. Mais ce qui est beau aussi là-dedans c’est qu’elle exprime une sorte d’indépendance, celle qui va devenir celle des femmes. Les rôles de frère Jean et Lily sont des rôles plus grands qu’eux-mêmes. Ils expriment des réalités plus larges.
R.A.S. : Lorsqu’Émile lui dit qu’il leur avait dit de ne jamais abandonner et que le frère Jean a tout laissé tomber à cause de ses supérieurs. Et que, en sortant de la classe, le frère Jean dit à Émile qu’il ne le feront pas quand même (en parlant des fouilles archéologiques) …
S.R. : Oui pis souvent on voit souvent l’enseignant comme quelqu’un qui doit savoir tout et là, son élève l’ébranle, le confronte comme l’enseignant le fait avec ses élèves. Il y a un retournement qui est super beau. C’est l’élève qui est le plus voué facile, qui va lui dire la chose la plus confrontante et qui va lui faire face.
E.C. : J’ai pleuré à la fin lorsqu’il lit la lettre de son ancien élève.
S.R. : Oui c’est bon! Moi aussi, juste à en parler, y’a pleins de moments qui me reviennent. C’est bon signe ça! (rires)
Rémy Girard (frère Léon, directeur)
E.C. : Vous avez une grande carrière derrière vous, je lisais ce matin que ça fait déjà 50 ans que vous êtes dans ce métier?
Rémy Girard : 50 ans. C’est les médias qui ont sorti ça, moi j’avais pas réalisé. (rires) Mais effectivement, oui, ça fait 50 ans que, pas que je fais du théâtre mais la première fois que j’ai été payé au théâtre professionnellement, c’est là que j’ai décidé d’en faire ma vie. C’est à partir de là que ça fait 50 ans.
R.A.S. : On entre dans le rôle du frère directeur comment?
R.G. : Moi je l’ai très bien connu le frère Léon, parce que j’ai connu des frères Léon. J’ai été éduqué par les frères des écoles chrétiennes, par les oblats de Marie Immaculée, les Jésuites et aussi par des professeurs laïques et des directeurs d’école laïques qui m’ont marqué, qui m’ont montré la voie, parce que moi je suis un peu « fafoin » et ils m’ont éduqué comment canaliser mon énergie et incidemment dans le théâtre amateur. J’ai pas eu le choix de faire du théâtre à 16 ans : « Voici le texte, apprends-le et on le joue en avril prochain! On va répéter les fins de semaines. ». J’ai pogné de quoi. Mais j’avais des directeurs compétant et très humains. Je me suis beaucoup inspiré d’eux pour jouer le frère Léon.
R.A.S. : Donc pas une figure mais plusieurs figures.
R.G. : Plusieurs figures : Mon professeur de français, Gabriel Riverain; Laurent Bouchard, mon directeur; Claude Moisan, professeur d’histoire; le père Poirier, avec qui on montait des pièces; dans ma tête, des gens qui m’ont marqué et qui m’ont permis d’être ce que je suis; et les dévoués de l’éducation, des gens qui étaient très très impliqués dans l’éducation. Ces gens-là m’ont formé et m’ont donné de la confiance en moi. Donc le frère Léon, je l’ai vu comme un personnage comme ça. J’espère que je me suis pas trompé. Il trouve que le frère Jean va un peu loin et qu’ils sont là aussi pour enseigner la religion. Mais à quelque part, il l’admire. Il a un regard presque paternel. Il a aussi ses responsabilités en tant que directeur.
R.A.S. : Il y a des liens avec le frère Jean qui est arrivé avec sa petite valise jaune…
R.G. : Oui, des liens paternels se sont développés depuis sont arrivé. Mais c’est de belles relations humaines. Il faut conserver ça. Va-t-on continuer l’éducation à distance? Ça se peut pas ça, c’est pas possible. On a besoin du contact avec les étudiants et même avec les professeurs et professeures. Mon directeur Laurent Bouchard disait que l’école ça se construit avec tout le monde : les employés, les professeurs, la cafétéria, les directeurs et les étudiants. C’est tout le monde qui bâti les institutions.
E.C. : Félicitations pour le rôle du frère Léon. Nous avons bien aimé le film ce matin. Pas mal inspirant.
R.A.S. : Longue vie encore au comédien et à l’homme.
R.G. : Oui merci beaucoup.
Vous pouvez voir le film Le club Vinland dans une salle de cinéma. Un très beau film, inspirant, à voir. Vous aussi, vous avez au moins un enseignant ou une enseignante qui vous a inspiré à un moment de votre vie, qui vous a aidé à être celui ou celle que vous êtes aujourd’hui. Vous pouvez également lire l’autre article : Le club Vinland. Je me dois de mentionner que le film a remporté trois Prix Iris lors des galas Québec Cinéma: meilleure interprétation masculine pour Sébastien Ricard, meilleurs costumes pour Francesca Chamberland et meilleure direction artistique pour Patrice Bengle et Louise Tremblay.
Crédit photos: Éric Côté