L’idée d’instaurer un revenu de base peut séduire au premier abord. Défendu à la fois par la gauche et la droite, le concept est cependant si élastique qu’il en est venu à chapeauter toutes sortes de propositions, parfois contradictoires. Allocation universelle, revenu minimum garanti, impôt négatif, dotation inconditionnelle d’autonomie: que se cache-t-il derrière ces diverses appellations? Force est d’admettre que, selon qui s’en fait le promoteur, une telle mesure peut se révéler aussi bien une politique émancipatrice qu’un cheval de Troie néolibéral, une voie de sortie du capitalisme qu’un piège pour nous y retenir. Comment s’y retrouver?

Cherchant à démystifier ce type de politique publique, Ambre Fourrier explore les questions que soulève la mise en place d’un «revenu» qui, selon une définition générique, serait «distribué à tous les membres d’une communauté politique, sur une base individuelle, sans contrôle de ressources ni exigence de contreparties». Analysant les fondements idéologiques et les implications politiques de chaque option, l’auteure démontre que nous avons bien affaire à plusieurs modèles de revenu de base, qui diffèrent autant par le montant alloué que par l’étendue de leur programme. Comme quoi une idée simple en apparence peut rapidement se transformer en une multitude de possibilités.

Au moment où les propositions de revenu de base se multiplient dans l’ensemble du spectre politique, voilà un ouvrage qui nous permet d’y voir plus clair et de comprendre ce que nous aurions à perdre ou à gagner avec chacune des modalités retenues. Pour Ambre Fourrier, il est essentiel de faire du revenu de base une question politique qui transcende ses seules dimensions techniques ou économiques.

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Paru au printemps 2019, le livre d’Ambre Fourrier est dans l’air du temps. Bien qu’il ne soit pas le premier portant sur le sujet aujourd’hui largement discuté du  »revenu de base », il permet une introduction relativement claire envers le sujet. D’environ 140 pages, ce court essai nous permet d’en savoir plus sur ce fameux revenu de base dont plusieurs politiques socialistes font les éloges.

Découpé en quatre chapitres, le livre nous permet tout d’abord de définir en quoi consiste le terme  »revenu de base » (car comme beaucoup de termes, il porte à interprétation). On comprend qu’il s’agit de verser une allocation à un.e citoyen.ne, à intervalle régulier et selon un montant précis. Cela dit, toutes ces données varient selon qui met la politique en place. Dans le second chapitre, l’autrice nous permet d’imaginer quatre catégories de revenu de base répertoriée (l’impôt négatif, l’allocation universelle, le revenu social garanti et le revenu de transition). Les dernières catégories proposent des approches plus radicales (inconditionnalité forte et revenu élevé) vers lesquelles on devrait espérer se diriger dans les prochaines décennies si les gouvernements en place voulaient vraiment mettre de l’avant un semblant de justice sociale. Il s’agit bien évidemment d’un spectre souple dans lequel de nouvelles catégories pourraient s’ajouter au fil des décennies, mais comme les tentatives mises en place n’ont pas été si nombreuses depuis les années 1950, les catégories sont établies en fonction de ce qui a déjà été essayé par le passé. Ainsi, de la théorie on passe à la pratique avec des exemples concrets d’expériences basées sur cette idée du revenu de base. On parle bien évidemment de la Finlande (dont l’expérience s’est terminée récemment et dont les informations restent encore minces puisque ce genre d’expérience se calcule également dans la durée après avoir mené l’expérience. On y parle aussi du Mincome au Canada (notamment dans la région du Manitoba dans les années 1970). Fait intéressant : les informations de cette expérience ont longtemps été entérinée après que le programme ait été sabré par les politiques conservatrices au début des années 1980. Ce n’est donc que pendant les années 2000 qu’ont été déterrés les vestiges de cette expérience du  »revenu de base » dans la municipalité de Dauphin. On termine le chapitre sur l’expérience menée dans la province du Madhya Pradesh, une des régions les plus pauvres d’Inde, et on comprend en quoi le revenu de base n’est peut-être pas toujours la solution espérée dans un contexte de pauvreté extrême. Peut-être serait-il plus pertinent d’investir d’abord dans des services sociaux de qualité avant de distribuer de l’argent à tout va (pour que cet argent soit utilisé au final dans des services sociaux de piètre qualité, poussant la population à se rabattre sur le privé – on ne s’en sort pas) ? L’idée de distribuer des denrées aux citoyen.nes est également intéressante. Il s’agit de donner à tous.tes une part égale en biens essentiels (eau, nourriture, électricité), mais de surtaxer tout abus. Ainsi, on aurait accès gratuitement à l’eau pour s’abreuver et se laver, mais il faudrait payer très cher pour nettoyer sa voiture ou, pire, arroser son asphalte pendant l’été, de peur de le voir s’assécher, le pauvre. Dans le dernier chapitre, on confronte le concept de revenu de base en fonction des idées de liberté, d’égalité et de soutenabilité. Ainsi, on met en pratique et théorise les potentiels retombées et effets sur la société vis-à-vis chacun de ces concepts. En quoi chacune de ces quatre catégories nommées ci-haut ont-elles un impact sur la liberté (positive et négative) des citoyen.nes, sur le principe d’égalité entre ceux.celles-ci et en quoi ces catégories sont-elles soutenables (ou non) ? Dans ce chapitre, l’autrice prend également le temps de définir d’un point de vue étymologique et philosophique chacun de ces concepts pour nous permettre un champ de réflexion plus large.

Même si dans le livre quelques termes ou concepts pourraient porter à confusion (si on n’a pas forcément de référent ou de connaissances du milieu économique), le traitement reste relativement simple (sans être simpliste). L’autrice nous fait passer par un chemin très simple de la compréhension de ce concept très élastique. On comprend ainsi que, même si l’idée que tous.tes et chacun.e reçoivent un montant minimum pour (sur)vivre semble pertinente, ce concept peut être trituré dans tous les sens au point même de devenir un argument de plus pour enfoncer les citoyen.nes dans un néolibéralisme encore plus féroce. Certaines politiques libérales (Couillard était d’ailleurs pour le revenu de base au Québec) nous font comprendre que les avantages de ce revenu de base pour tous.tes résulterait en une grande économie pour la société, puisque il serait ainsi possible d’abolir certaines formes d’aides sociales en échange. Mais il faut être vigilant, cela voudrait également dire que les plus vulnérables écoperaient encore une fois en se retrouvant sans filet social. Soyons clairs, un montant de 500$ ou 600$ par mois est largement insuffisant pour survivre dans la société actuelle. Il permettrait, par contre, de sortir de la pauvreté pour tous.tes ceux.celles qui ont déjà un emploi (peu payant). Par exemple, dans l’expérience menée à Dauphin dans les années 1970, il a été prouvé que les personnes ayant reçu l’allocation universelle (sans condition quelconque) ont pu augmenter leur niveau de vie. Il y aura eu un moins grand nombre de décrochage scolaire (près de 60% en moins l’année suivante), ces étudiant.es ayant poursuivi des études post-secondaires par après. Cela aura permis aux femmes au foyer d’allonger leur congé maternité et aux personnes sous le seuil de pauvreté de mener une vie plus stable. On comprend rapidement que l’ouvrage ne traite pas que d’économie mais également de philosophie, de justice sociale et d’écologie. On comprend à quel point le revenu de base pourrait avoir des impacts positifs (et négatifs) sur l’ensemble de la société. Qui dit plus de revenu dit (malheureusement et souvent) plus de dépenses, ce qui augmente (encore) la croissance économique. C’est en effet la dernière chose dont nous avons besoin en ce moment. Cela dit, il ne faut pas oublier que si les politiques mises en place font bien les choses et pour les bonnes raisons (c’est-à-dire par souci de justice sociale et d’équité envers les citoyen.nes), elles peuvent également être un outil de plus pour déchirer le tissu social déjà abîmé.

Le revenu de base est donc une arme à double tranchant, dépendant de qui tient l’arme et dans quel but. L’ouvrage permet une introduction envers ce sujet plus complexe qu’il n’y paraît. Le sujet mérite bien évidemment d’être approfondi et surtout discuté dans notre société puisqu’il y aurait dans ce concept des possibilités de se sortir du néolibéralisme économique.

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PRIX

20$ / 15€

NOMBRE DE PAGES

152

ISBN

978-2-89719-550-2