Depuis la mort de leur enfant unique, Dany, il y a 8 mois, Louis et Becca tentent de survivre et de faire leur deuil. Chacun à sa manière, et toujours dans la douleur. Becca se mure dans sa souffrance, lui donne la primauté sur toute autre chose refusant toute aide extérieure. Les tentatives de sa mère, d’amis, de sa sœur de la ramener dans la vie, de l’accompagner dans son cheminement ou tout simplement de continuer à vivre sont pour elle autant insupportables que des trahisons à la mémoire de Dany et à l’exclusivité de sa souffrance, comme lui sont insupportables tous ces objets de la vie quotidienne et même la maison familiale qui lui rappellent l’enfant perdu.

Louis, sous ses airs d’homme fort qui fait face à la situation, sort, suit des groupes de soutien, travaille, peine évidement lui aussi à trouver le chemin de la résilience. La différence des parcours qu’ils empruntent les éloigne peu à peu chacun reprochant à l’autre des attitudes, des cheminements, des émotions qu’il ne comprend pas et qu’il perçoit comme des lâchetés.
Et puis, comble de l’ignominie le jeune conducteur responsable de la mort de leur fils tente de rentrer en contact avec eux pour, lui aussi suivre, son chemin de résilience.

Dans un tel contexte l’annonce, un peu maladroite mais y avait t-il une possibilité de ne pas l’être, de la prochaine maternité de la sœur de Becca joue l’effet d’un catalyseur des relations entre les membres de la famille et le processus de deuil. la crise n’est pas loin de rompre les ponts mais la force du verbe, de l’écoute malgré tout, des expériences similaires vécues par d’autres d’abord rejetées puis écoutées et enfin de l’ amour, faciliteront peut-être la résilience. On n’oublie pas un enfant mort, on n’oublie pas, on ne nie pas sa douleur, on l’apprivoise, on apprend à vivre avec comme « une brique dans la poche ». Y compris, jusqu à accepter l’impensable, recevoir et dialoguer avec celui qui a causé la mort accidentelle de votre enfant et qui, lui aussi, porte ce drame en lui qu il tente d exorciser par la création littéraire et la dédicace à l’enfant disparu.

La mise en scène de Jean-Simon Traversy, très sobre et volontairement dépouillée d’accessoires et de décor nous ouvre à la perfection les portes de ce texte de l’auteur américain David Lindsay-Abaire si intense et percutant. Dans un interview, à la question de savoir si jouer sans accessoire rend la performance de l’acteur plus difficile Sandrine Bisson répondait: « …On va directement au texte. On est nus. Tous les objets sont en dessous, et au-dessus, il y a uniquement ce que l’on vit. On est à l’essentiel, dans l’émotion. Et on ne baisse pas les yeux sur un verre de vin, par exemple! Elle est là la fragilité aussi. C’est très difficile d’être sur scène sans aucun accessoire, c’est confrontant au départ. Mais, pour ma part, ça m’a fait avancer dans mon jeu… ». Une réflexion qui trouvait écho dans la réponse de Pierrette Robitaille : « …Sans accessoires, pour moi, ç’a été extrêmement difficile ! On doit apprendre deux partitions par cœur: d’abord le texte, ensuite les manipulations et les accessoires imaginaires. De plus, il y a toute une question de rythme que l’on doit créer et ça demande une intense concentration, comme jamais. Mais, on y arrive!… »
Un défi, une performance que tous les comédiens ont relevé avec brio au point que l’on se prend à se demander comment d’autres créations de cette pièce, et même un film ont pu se faire avec des décors et accessoires sans l’amputer de sa force, l’amoindrir. Ils sont tous dans la pudeur, la retenue, avec l’intonation comme le geste justes sans surjeu ni pathos alors que le thème aurait pu s’y prêter.

Tous servent à merveille ce texte qui est là aussi comme un garde fou à la dérive du sujet vers un voyeurisme ou une sensiblerie de mauvais aloi. Une pièce dramatique, récompensée par le prix Pulitzer 2007, dans laquelle pourtant l’humour trouve naturellement sa place comme le dernier rempart contre la désespérance.

Saluons aussi particulièrement la traduction de Yves Morin qui a su rapprocher de nous, nous permettre de nous approprier ce texte si subtil par le choix des mots expressions et façons de dire qui sont les nôtres. La puissance de sa traduction vient de sa finesse, de sa subtilité sans cette surcharge outrancière ethnocentrique que l’on rencontre malheureusement parfois dans les traductions et qui sont parfois autant une insulte au texte d’origine et à son environnement qu’à notre capacité à explorer diverses avenues de notre langue.

Le terrier a été, à l’origine, créée au Théâtre Denise-Pelletier en novembre 2016 par le même metteur en scène, devenu aujourd’hui codirecteur artistique du Théâtre Jean-Duceppe, et interprétée par les mêmes comédiens. La présenter au Théâtre Jean-Duceppe est en parfaite cohérence avec la mission que s’est donné ce théâtre. Le choix de sa reprise, mais aussi l’excellence de la mise en scène et de la distribution, montre que le Conseil d’administration du théâtre a fait le bon choix en nommant Jean-Simon Traversy en co-direction avec David Laurin, pour remplacer Michel Dumont à la direction artistique.

Titre : Le terrier, c’est quoi la pire chose au monde?
Titre Original Rabbit Hole
Auteur : David Lindsay Abaire
Traduction Yves Morin
Mise en scène Jean-Simon Traversy

Distribution
Sandrine Bisson: Becca
Frédéric Blanchette: Louis
Rose-Anne Déry: Isa
Pierrette Robitaille: Nathalie
André-Luc Tessier; Jason

Décor: Cédric Lord
Costumes: Marie-Noëlle Klis
Éclairages: Renaud Pettigrew
Musique: Yves Morin et Étienne Thibeault
Accessoires: Normand Blais
Assistance à la mise en scène: Marie-Hélène Dufort

Une production du Théâtre Jean Duceppe
Direction artistique : David Laurin et Jean-Simon Traversy
Directrice générale Louise Duceppe

Théâtre Jean Duceppe
Place des Arts
Du 13 février au 23 mars 2019
Durée 1h30 avec l’entracte
Tarifs individuels de 39.à 64$
175, rue Sainte-Catherine Ouest
Montréal (Québec) H2X 1Z8
Tél. : 514 842-2112 Sans frais : 1 866 842-2112
http://www.duceppe.com

© photo: Caroline Laberge