En ouverture de sa 39ème saison l’Opéra de Montréal nous propose sous la direction Carlo Montanaro et dans une mise en scène de Michael Cavanagh, un classique du répertoire : Rigoletto: Une œuvre du compositeur italien du XIXème siècle, Giuseppe Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave, inspirée de la pièce de Victor Hugo, le Roi s’amuse. .En pleine Monarchie de Juillet elle dénonce la débauche de la cour du roi français de la Renaissance François 1er. Mais personne n’est dupe. La charge dépasse largement le cadre historique pour se faire plus politique et contemporaine. Le pouvoir ne s’y trompe pas et interdit la pièce.
Ce choix pour Verdi s’inscrit dans les bouleversements en cours dans une Italie qui lutte pour son unification et son indépendance. Verdi est lié à ce mouvement et il a occupé plusieurs fonctions électives. Et si après l’échec de la Première guerre d’Indépendance italienne il déclare vouloir se tourner vers la création d’œuvres aux univers moins politiques et plus familiaux il ne cache pas que ceux-ci sont pour lui un microcosme de la vie de la société en générale, un « modèle pour la forme que pourrait prendre politiquement une société ».
Tout d’abord conçue pour être une complète reprise de la pièce de Victor Hugo, Verdi doit accepter de négocier avec la censure autrichienne (qui contrôle le Nord de l’Italie). Mais la lutte est inégale. L’œuvre appelé Malédiction doit être renommée, l’intrigue doit être à plusieurs reprises remaniée notamment en resituant l’intrigue dans une autre époque, celle du duc de Mantoue, un duché dont la cour n’existe plus. Malgré le succès remporté auprès du public, Rigoletto n’échappera pas à l’interdiction. Rigoletto est un mélodrame sur fonds de passion, vengeance, d’amour filial, de dénonciation d’une société…Comme dans Le roi s’amuse un prince décadent transforme sa cour en lieu de débauche et de dépravation. Après avoir séduit la comtesse Ceprano le Duc et Rigoletto son bouffon se moquent des courtisans et du père de la victime qui jette alors sa malédiction sur eux. Les courtisans choisissent même, pour se moquer des railleries, d’enlever celle qu’ils croient être la maîtresse de Rigoletto, Gilda, et qui est, en fait, sa fille qu’il tient cachée pour la protéger de la vie dissolue qui l’environne. Mais Gilda, sous couvert d’aller à l’église, a multiplié les rencontres amoureuses avec le Duc de Mantoue qui se fait passer pour un étudiant. Les courtisans convainquent Rigoletto de participer au propre enlèvement de sa fille en lui faisant croire qu’il s’agit de la comtesse séduit par le Duc. Ramenée à la cour, la jeune fille est dévoilée. Le Duc et Gilda se reconnaissent et Rigoletto découvre avec horreur leur relation. Pour se venger du Duc Rigoletto engage un tueur à gages Sparafucile et fait découvrir à Gilda le Duc en train de séduire la sœur et complice de Sparafucile, Maddalena. Mais Maddalena elle-même séduite demande à son frère d’épargner le Duc. Celui-ci refuse au nom du respect du contrat passé et surtout de l’appât pour le gain à venir. Tout juste lui promet-il de l’épargner en tuant à sa place le client qui se présenterait à l’auberge après minuit. Mais Gilda surprend la conversation et pour sauver le Duc se sacrifie en prétendant être un voyageur. En découvrant sa fille mourante Rigoletto comprend que la malédiction vient de se réaliser.
En ouvrant l’opéra à des héros pouvant être des êtres méprisables, ambigus, en multipliant les protagonistes dont un grand nombre issus des bas fonds de la société, par son thème même et le contexte dans lequel il s’inscrit clairement, Rigoletto est déjà en soit une œuvre novatrice. Mais Rigoletto est aussi une œuvre novatrice au plan de la mise en scène théâtrale. C’est en effet la première fois qu’en Italie les décors jusqu’alors sur toile peinte sont « en dur » en trois dimensions. Pareillement la scène connait les premiers effets spéciaux de son et lumière grâce, notamment, à l’apport du gaz pour simuler les éclairs et le tonnerre…
Mais l’innovation s’inscrit aussi et peut-être surtout musicalement dans Rigoletto. Délaissant les opéras dédiés au bel Canto mettant principalement en valeur des morceaux de bravoure de chanteurs, principalement des ténors, Rigoletto rompt avec plusieurs siècles de tradition. L’aria cède pour beaucoup la place à des duos, les barytons occupent les premiers rôles, la musique se met au service, en symbiose, avec un véritable récit narratif véhiculant lui-même un message. Ainsi la musique participe-t-elle pleinement à la construction de l’intrigue et du « discours » qui la sous-tend tout en lui évitant, au plus grand bénéfice de l’œuvre, un caractère trop démonstratif et appuyé.
Pour une telle œuvre on pouvait s’attendre à ce que l’Opéra de Montréal ait à cœur de nous transmettre sa force novatrice. Disons le d’emblée, c’est probablement la grande faiblesse de ce Rigoletto qui manque de ce fait d’audace, d’ampleur s’ancrant dans une facture très classique. Les décors qui deviennent presque pauvres à force de minimalisme, sur-occupent pourtant la scène qui en devient trop souvent réduite à une bande de terrain au bord du gouffre (ou plutôt de la fosse d’orchestre) étriquant, bridant les comédiens évoluant dans un haut-relief plutôt que dans une ronde bosse. Les tableaux entre Sparafucile et Rigoletto ou le final où Rigoletta reconnaît sa fille mourante en pâtissent plus particulièrement. Ce n’est principalement que dans les tableaux qui se déroulent dans le palais que la scène reprend un peu de profondeur et donc du volume rendant du même coup à l’œuvre son pouvoir d’émotion et de passions humaines, d’intrigue aussi bien que de peinture sociétale. Pareillement, trop souvent l’interaction entre les personnages, notamment dans les duos sont « figés » dans des attitudes classiques de déclamations individuelles de l’opéra du bel canto ôtant ainsi par cette absence de dialogue gestuel entre les comédiens une partie de la force émotionnelle qui se joue notamment entre Rigoletto et sa fille ou entre Gilda et le Duc. C’est principalement dans le tableau entre Sparafucile et sa sœur que cette émotion parvient à passer à travers le jeu entre les acteurs ou, là encore, dans les scènes dans le palais ducal notamment grâce aux beaux mouvements et l’amplitude donnés au chœur. Les chanteurs ne sont pas en cause car quand la possibilité leur en était donnée l’acteur en eux se révèle notamment James Westman convaincant dans son rôle de Rigoletto.
Ce qui devait se concevoir comme une trouvaille de mise en scène, un rideau translucide qui occulte à certains moments la scène alors que les voix s’élèvent, joue son effet mais vient aussi trop souvent assourdir la portée des voix que la salle ne met déjà pas au naturel toujours en valeur. Quel dommage car la puissance et la maîtrise musicale de l’orchestre et des artistes, la plupart Canadiens, étaient au rendez-vous. Saluons notamment là encore le baryton James Westman pour qui cette interprétation était une prise de rôle. Il a su tout à la fois dominer son art vocal et donner âme à son personnage. Pareillement la soprano Myriam Leblanc dans le rôle de Gilda a musicalement brillamment relevé la difficulté d’une prise de rôle même si transparaissait parfois que la volonté et le souci de réussir cette première prenait le pas (bien compréhensible) sur son jeu le rendant moins convaincant et fluide sans que la mise en scène ne lui donne les soutiens qui l’y auraient peut-être aidé. Gageons que ceci s’effacera quand elle se sera rassurée elle-même. Le ténor René Barbera dans le rôle du Duc de Mantoue a magistralement rendu sa partition ainsi que la mezzo-soprano Carolyn Sproule dans le rôle de la sœur de Sparafucile. Ils sont certainement ceux qui s’imposent dans ce Rigoletto. Remarquons aussi le baryton Scott Brooks, qui entame sa deuxième saison à l’Atelier de l’Opéra lyrique de Montréal et qui déjà s’affirme, splendide dans son rôle du père offensé de la comtesse Ceprano qui jette la malédiction au cœur du drame qui se joue. Soulignons aussi les chœurs qui tout en parvenant à donner véritablement vie par leurs mouvements à ces tableaux trop souvent figés par la mise en scène restaient puissants musicalement. Une vraie prouesse qu’il convient de saluer.
Nous restons donc sur notre faim pour cette reprise qui a eu l’audace de proposer pour deux des principaux rôles des prises de rôle et de faire confiance pour des rôles aussi importants que Sparafucile, Maddalena et Monterro à de jeunes artistes, mais qui dans sa facture trop convenue ne nous fait pas véritablement vibrer ni comprendre, juste par la force de la représentation, pourquoi cet opéra a acté la popularité de Verdi et fait date dans l’histoire des opéras tant pour ses innovations musicales et techniques que par la puissance de sa composition musicale. Des airs, qui ont su dépasser le cercle des amateurs pour devenir, pour plusieurs d’entre eux, des airs populaires connus internationalement de tous ( même si on ne sait pas toujours les restituer à l’œuvre et à leur compositeur).
Rigoletto 1851
Opéra en 3 actes en italien
Compositeur : Giuseppe Verdi
Livret : Francesco Maria Piave
Metteur en scène : Michael Cavanagh
Chef d’orchestre Carlo Montanaro
Rigoletto, bouffon : baryton, James Westman
Gilda, sa fille : soprano, Myriam Leblanc
Le duc de Mantoue : ténor, René Barbera
Sparafucile, assassin : basse, Vartan Gabrielian
Maddalena, sœur de Sparafucile : mezzo-soprano, Carolyn Sproule
Giovanna, gouvernante de Gilda : alto, Rose Nagcar-Tremblay
le comte Ceprano :basse, Brandon Friesen
la comtesse Ceprano : mezzo-soprano Élizabeth Polese
Matteo Borsa : ténor, Rocco Rupolo
le comte Monterone : baryton, Scott Brooks
le chevalier Marullo : baryton, Max van Wick
le page du duc : mezzo-soprano, Andrea Núñez
Courtisans, dames, pages, hallebardiers, serviteurs (chœur)
Décors : Robert Dahlstrom
Costumes : Opéra de Montréal
Éclairages : Anne-Catherine Simard-Deraspe
Chef de chœur Claude Webster
Opéra de Montréal https://www.operademontreal.com/
15 au 22 septembre
salle Wilfried pelletier
Place des Arts
© photo: Yves-Renaud