Le M Club, nouveau roman de Patrick Sénécal, transpose l’horreur psychologique québécoise dans les bas-fonds de Berlin et propose un duel troublant entre deux écrivains amis, Brandon et Philippe, bientôt happés par un club clandestin où toutes les limites morales explosent. Sous ses dehors de simple séjour d’écriture, le livre devient une descente progressive dans la noirceur humaine, portée par le style cru et réflexif de Sénécal, qui interroge une fois de plus ce qui pousse un individu à franchir l’irréparable.

L’histoire met en scène Brandon Cusson et Philippe Corriveau, écrivains et amis de longue date, dont les personnalités s’opposent radicalement: Brandon, extraverti, bravache et avide de sensations fortes, entraîne le discret et timide Philippe dans un voyage de deux semaines à Berlin, officiellement pour terminer leurs romans, officieusement pour faire la fête. Sous l’impulsion du fameux Cusson Smile auquel Philippe ne sait jamais résister, les soirées s’enchaînent jusqu’à une invitation mystérieuse qui leur ouvre les portes du M Club, un établissement illégal dont ils n’auraient jamais dû franchir le seuil et qui les changera à jamais. Ce point de bascule fait glisser le récit vers une exploration de la culpabilité et de la manière dont l’acte de tuer anéantit toute possibilité de dialogue et d’humanisme, l’un des thèmes centraux revendiqués par Sénécal pour ce roman.
Sénécal, maître de l’horreur humaine

Né à Drummondville en 1967, Patrick Sénécal est d’abord un pédagogue de la littérature et du cinéma au cégep de Drummondville avant de devenir l’une des figures majeures de l’horreur québécoise avec 5150, rue des Ormes, puis Sur le seuil, Le Vide, Hell.com et plusieurs autres titres vendus à plus d’un million d’exemplaires. Auteur, scénariste et réalisateur, il revendique depuis longtemps une fascination pour le suspense, le fantastique et la terreur, préférant sonder les monstres intérieurs de l’être humain plutôt que de recourir à des créatures surnaturelles. Avec Le M Club, l’écrivain quitte le territoire familier du Québec pour situer son intrigue en Allemagne, plus précisément à Berlin, un déplacement géographique rare dans son œuvre qui lui permet de renouveler son univers sans abandonner ses obsessions pour la violence, la culpabilité et les zones grises de la morale.
Berlin, terrain de jeu interlope
En choisissant Berlin, Sénécal signe à la fois un guide touristique digressif et un voyage initiatique au cœur des night-clubs où les codes sociaux se défont et où les interdits deviennent matière à expérimentation. L’auteur s’inspire de clubs bien réels qu’il a fréquentés et les combine à des lieux inventés, dont le M Club lui-même, pour créer un décor interlope où l’anonymat, la musique et la nuit autorisent toutes les dérives. Cette capitale de contrastes – rues austères, quartiers effervescents, scènes nocturnes fermées et difficiles d’accès – devient le laboratoire parfait d’un roman d’horreur contemporain, où le « tout devient possible » est moins une promesse de liberté qu’une menace de perdre pied.
Entre roman psychologique et horreur
Le M Club s’impose comme un hybride assumé entre le roman psychologique et l’horreur, où l’épouvante naît d’abord des failles, des désirs et des lâchetés des protagonistes plutôt que du gore pur et simple. Sénécal y met en sourdine les débordements sanguinolents pour se concentrer sur les conséquences intérieures de la transgression, faisant du sentiment de culpabilité le moteur dramatique principal, tout en maintenant une tension constante qui débouche sur des scènes graphiques et dérangeantes typiques de son écriture. L’horreur est ainsi moins montrée comme un choc ponctuel que comme une contamination progressive de l’esprit, chaque nouvelle frontière franchie au M Club rongeant un peu plus le vernis moral des personnages et, par ricochet, celui du lecteur.
Brandon / Philippe : un miroir brisé
Au cœur du récit, la relation entre Brandon Cusson et Philippe Corriveau fonctionne comme une étude de doubles, presque comme deux faces d’un même personnage. Brandon, auteur de polar à succès, grande gueule et en quête permanente de sensations fortes, incarne l’élan vers l’excès, le défi lancé aux règles et la tentation de transformer la vie en matériau romanesque sans se soucier des dommages collatéraux. Philippe, plus effacé, raisonnable et prudent, endosse d’abord le rôle du bon ami, mais sa docilité – notamment face au Cusson Smile – devient le point d’entrée d’une métamorphose lente et inquiétante, qui rappelle un passage de Jekyll à Hyde sous pression amicale et environnementale.
La lente métamorphose de Philippe
Tout l’intérêt psychologique du M Club tient à la façon dont Philippe, figure posée et presque banale, se laisse d’abord porter, puis aspirer par la spirale des nuits berlinoises et des propositions du club clandestin. Chaque concession, chaque rationalisation du juste cette fois contribue à fissurer son identité initiale, jusqu’à faire émerger une part de lui-même dont ni lui ni Brandon ne mesuraient l’ampleur, un véritable Hyde que le dispositif du club s’emploie à révéler. Le roman semble ainsi poser une question dérangeante : l’horreur vient-elle vraiment de l’extérieur ou ne fait-elle que révéler ce qui, chez Philippe, n’attendait qu’un contexte permissif pour se manifester ?
Un style graphique et philosophique
Même en atténuant certains excès sanglants, Sénécal conserve un style descriptif puissant, visuel, qui ne recule ni devant la crudité des scènes ni devant le malaise que peut ressentir le lecteur. La précision avec laquelle il décrit les lieux, les corps et les gestes confère au M Club une densité quasi cinématographique, ce qui n’étonne pas d’un auteur habitué aux adaptations et au travail de scénarisation. Mais derrière la mise en scène des excès, le roman poursuit aussi une réflexion philosophique sur la violence, la responsabilité et la mort, interrogeant ce que signifie anéantir quelqu’un et ce qui reste de soi une fois la ligne franchie.
Deux visages de Sénécal ?
Difficile de ne pas voir, dans ce duo d’écrivains québécois en résidence berlinoise, une mise en abyme de l’auteur lui-même, connu pour aimer se confronter aux zones sombres de l’âme humaine. Brandon, l’écrivain à succès provocateur qui veut toujours aller plus loin, pourrait incarner la part de Sénécal qui cherche à déjouer les attentes, à étonner ses lecteurs et à tester les limites de son propre imaginaire. Philippe, plus introspectif, taraudé par la culpabilité et l’angoisse morale, évoque plutôt l’artiste qui mesure le poids de ce qu’il raconte et qui se demande jusqu’où il est légitime d’emmener ses personnages et ses lecteurs. Sans offrir de réponse explicite, Le M Club suggère que ces deux pôles cohabitent chez le maître de l’horreur québécois, et que c’est précisément de cette tension entre Brandon et Philippe, entre Jekyll et Hyde, que naît la force dérangeante de son nouveau roman.
| Titre et auteur | Le M Club, de Patrick Sénécal |
| Date de sortie | 17 novembre 2025 |
| Langue | Français |
| Éditeur | Éditions Alire |
| ISBN | 9782898350955 |
| Catégories | Littérature / Roman Polar/Suspense |
| Détail des contributeurs | Maquette ou illustration de couverture de Jeik Dion |
| Nombre de pages | 704 pages |
| Formats disponibles | Imprimé, ePub et PDF |
