L’Opéra de Montréal présente Champion, du 26 janvier au 2 février à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.
« Je tue un homme et le monde me pardonne, j’aime un homme et le monde veut me tuer. »
Telle est l’ironie du destin d’Émile Griffith, boxeur homosexuel qui, en 1962, tua sur le ring Benny Paret qui l’avait attaqué sous la ceinture en raillant une orientation sexuelle mal assumée, puisque tabou dans l’Amérique puritaine d’alors.
Voilà où s’arrête l’histoire, la vraie, et où commence la fiction, celle que propose Champion, spectacle qui raconte l’ascension et la chute d’Émile : son départ de Saint-Thomas, dans les îles Vierges des États-Unis, pour New-York où il rêve de devenir chanteur, joueur de baseball ou chapelier; ses retrouvailles avec sa mère qui l’avait abandonné et sa rencontre avec le manufacturier Albert, qui voit en lui un boxeur.
À ses premiers combats, aux victoires et aux titres de champion se trace en parallèle une autre trajectoire, celle de sa découverte du monde interlope de Manhattan et sa fréquentation, les deux vies d’Émile s’entremêlant pour le conduire à ce triste soir de gloire où, entre quatre cordes et sous les ovations, il rouera de coups – dix-sept en moins de sept secondes – ce « Kid » qui l’aura insulté non impunément.
K.O., encore après dix jours – c’est ce que le speaker annoncera, la mort du Kid sonnera aussi le début de la fin de la carrière d’Émile. Dès lors, les défaites s’enchaîneront, tandis que grandira cette blessure à la tête, cette double blessure plutôt – celle d’aimer les hommes et celle d’en avoir tué un. Le dernier combat perdu, ses gants raccrochés, Émile se laissera gagner par les remords et la grandeur perdue qui l’amèneront à s’enfermer dans la solitude de son appartement.
C’est sur cet Émile-là, atteint profondément et vaincu, que le rideau se lève pour faire défiler en autant de rounds les voix du passé qui tourmentent l’esprit du boxeur déchu : celles de sa double culpabilité. Et c’est précisément là que la mise en scène est la plus réussie, en plaçant l’Émile vieilli sur son lit, ou sur scène mais toujours comme hors champ, telle une ombre hantant ses souvenirs, y assistant, et tenté d’intervenir.
La voix de basse d’Arthur Woodley, touchant, attache au spectateur cet autre acteur du drame qui se déroule inévitablement, le jeune Émile campé par le baryton-basse Aubrey Allicock se forçant aux poings, et en contrepoint, un passage en route vers son tragique destin : le « Kid » allongé et le besoin irrépressible de se faire pardonner.
Si le rythme est bon et l’emballage joli, le décorum se montre assez classique dans sa contemporanéité. Mais c’est surtout cette espèce de mélange un peu bâtard que nous propose le Montreal Jubilation Gospel Choir, le Chœur de l’Opéra de Montréal et l’Orchestre Symphonique de Montréal étonnamment réunis qui pose problème, et c’est la voix de mezzo-soprano de Catherine Daniel, laquelle joue la mère d’Émile, qui le révèle le plus sûrement; cette voix d’opéra qui détonne et fait un trop grand écart avec l’esthétique de style comédie musicale qui habille Champion.
C’est à se demander pourquoi le metteur en scène James Robinson n’a pas choisi son coin et tranché, pour plonger à fond dans l’une ou l’autre des deux options qui s’offraient à lui; la comédie musicale semblant la mieux à même de convenir aux voix blues ou bouncées qui se font entendre hélas en de trop rares occasions.
D’autre part, les 2h40 que dure le spectacle auraient profité à fouiller le monde interlope historique et la psychologie du personnage principal plus finement, plutôt qu’en surface et par l’expression de sentiments qui restent simples à force de n’être que trop simplement répétés.
Champion, du 26 janvier au 2 février à la salle Wilfird-Pelletier de la Place des Arts.
Distribution : Arthur Woodley, Aubrey Allicock, Catherine Daniel, Victor Ryan Robertson, Brett Polegato, Asitha Tennekoon, Chantale Nurse, Meredith Arwady, Sebastian Haboczki, Scott Brooks, Nathan Dibula
Auteur du livret : Michael Cristofer
Compositeur : Terence Blanchard
Chef d’orchestre : George Manahan
Metteur en scène : James Robinson
Metteure en scène associée : Kimberley S. Prescott
Chorégraphe : Seán Curran
Chorégraphe associé : Maverick Lemons
Décors : Allen Moyer
Costumes : James Schuette
Éclairages : Christopher Akerlind
Éclairagiste associé : Andrew J. Guban
Vidéo : Greg Emetaz
Chef de chœur : Claude Webster
Chef de chœur : Dr. Trevor W. Payne
Pianiste-répétitrice : Esther Gonthier
Pianiste-répétitrice des chœurs : Holly Kroeker
Crédits photographiques : Yves Renaud