Avant d’aller à Pyongyang, à Shenzhen et à Jérusalem, Guy Delisle a vécu à Québec où, durant trois étés, il a travaillé dans la même usine de pâte et papier que son père. Avec Chroniques de jeunesse, l’auteur revient sur son expérience de gars de shop, dressant un portrait drôle et touchant du milieu ouvrier et de ses années formatrices en tant qu’artiste.

**

Après plus de 20 ans de carrière dans le milieu de la bande dessinée / roman graphique au Québec, on ne présente plus Guy Delisle. Ayant alterné entre les courtes histoires telles que Comment ne rien faire et celles de ses chroniques de voyage, Guy Delisle a toujours trouvé cette manière de raconter les choses simplement, avec un humour singulier. Il sait également très bien naviguer entre les registres tragiques (S’enfuir – 2015) et comiques (Guide du mauvais père).

Chroniques de jeunesse nous emporte cette fois-ci dans les étés chargés de l’auteur par son premier emploi d’été, avant même de devenir dessinateur. Mais comment et sous quelle forme se rappelle-t-on ses souvenirs de jeunesse ? Est-il possible de garder un regard objectif sur ses propres souvenirs, sans forcément embellir ou romancer les événements ? Delisle nous parle d’une période de la vie (le début de l’âge adulte) qui, même si tout le monde l’a vécu différemment, nous a laissé sensiblement les mêmes impressions : l’angoisse de ne pas trouver une carrière qui nous plaît, répondre aux désirs et aux exigences des plus vieux.vieilles, se sentir submerger par la soudaine liberté et les responsabilités de la vie adulte… Dans ce récit, l’auteur nous amène à en connaître un peu plus sur son contexte familial, notamment sa relation distante avec son père qui travaille pourtant au même endroit que lui pendant tous ces étés. Une relation compliquée, manquée, qui semble surtout naître de l’incapacité du père à se connecter avec les gens, peut-être par manque d’outils communicationnel.

Les choix de ton dans ce livre sont intéressants. L’auteur opère selon deux couleurs : le gris et le jaune orange. Le gris donne une ambiance éthérée à ces souvenirs qui nous semblent parfois flous quand on tente de se le remémorer. Le jaune orange quant à lui égaye les pages et rend le tout moins moroses, même si son code d’utilisation semble changer de temps à autre : on le retrouve sur des éléments qui semblent contextualiser les souvenirs (onomatopées, la fumée de l’usine, les odeurs, les bruits assourdissants des machines) mais aussi ancrer le protagoniste dans le récit (son chandail, notamment). Cela nous amène à réfléchir sur ce que nous retenons de nos souvenirs, quels affects sont interpellés et comment la mémoire reconstitue les souvenirs que nous avons (potentiellement) glorifiés avec le temps. Comme si cette période reflétait forcément l’insouciance alors que nous avons pourtant tous.tes vécu des moments anxiogènes à l’idée de ne jamais trouver notre place dans la société.

Avec simplicité, humour et nostalgie, Guy Delisle signe une nouvelle fois une œuvre sensible qui honore la mémoire, à la fois intime et collective, de nos époques passées.

**

Chroniques de jeunesse – Guy Delisle

Éditions Pow Pow

Date de parution26 janvier 2021
Pages160
ISBN978-2-924049-91-4