Alors que l’hiver québécois s’installe avec son lot de défis pour les automobilistes, Bertrand Godin, figure emblématique du sport automobile canadien et instructeur de conduite d’urgence, partage son expertise pour aider les conducteurs à mieux naviguer les conditions hivernales. Avec une carrière de pilote qui l’a mené des circuits européens aux autoroutes québécoises, Godin possède une perspective unique sur les dangers et les techniques de conduite hivernale.
Voici les faits marquants de l’entretien que j’ai eu avec lui il y a quelques jours.
Au-delà de la vitesse : comprendre la physique
« Souvent, on pense que la vitesse est toujours en cause dans une situation d’accident », explique Godin. « Mais il y a tellement d’autres éléments. Ce n’est pas nécessairement une question de vitesse. C’est une question de compréhension dynamique. »
Le pilote de 58 ans insiste sur un point crucial : les conducteurs qui réussissent ne savent souvent pas pourquoi ils sont bons, et ceux qui éprouvent des difficultés ne comprennent pas leurs erreurs. C’est cette méconnaissance qui peut s’avérer dangereuse sur les routes glacées.
Le mécanisme de la conduite : 40% d’observation
Selon Godin, le mécanisme de la conduite (et la sécurité) repose à 40% sur les connaissances directement liées au sens de l’observation. Cela inclut la connaissance de son véhicule et de ses systèmes de contrôle de stabilité, d’ABS et d’antipatinage.
« Les gens restent très surpris de voir que les systèmes d’aide à la conduite ont des limites, et c’est pour ça qu’on retrouve des gens dans le décor, malgré les contrôles de stabilité et d’ABS », rappelle-t-il.
Cette réalité soulève une question importante : comment les automobilistes peuvent-ils vraiment adapter leur conduite s’ils n’ont jamais appris à reconnaître les limites de leur véhicule?
Les pièges de la technologie moderne
Les aides à la conduite modernes, bien qu’utiles, peuvent parfois surprendre les conducteurs. Godin raconte une anecdote révélatrice : au volant d’une Honda Civic dans la neige épaisse, il s’est retrouvé dépourvu de ses techniques habituelles lorsqu’il a découvert que le frein à main avait été remplacé par un bouton électronique et que le système coupait automatiquement le moteur lorsqu’il tentait de freiner tout en accélérant.
« Là, j’étais dépourvu d’outils. Tu te dis, OK, là j’ai vraiment plus le droit à l’erreur », confie-t-il, soulignant l’importance de bien connaître son véhicule avant de se retrouver en situation critique.
Des conditions qui changent à chaque coin de rue
L’hiver québécois présente un défi particulier : les conditions routières peuvent varier dramatiquement d’un kilomètre à l’autre. Entre les routes grattées sans sable qui deviennent des patinoires, celles recouvertes d’abrasif et celles traitées au sel, les automobilistes doivent constamment s’adapter.
Godin explique un phénomène simple mais crucial : plus il y a de circulation sur une trajectoire, plus la friction des pneus fait fondre la neige qui se transforme ensuite en glace en l’absence d’abrasif. C’est pourquoi il recommande parfois de se décaler légèrement de sa voie pour aller chercher une meilleure adhérence sur la neige intacte.
Le test du freinage : un geste qui peut sauver des vies
Une technique que Godin préconise fortement : tester régulièrement ses freins lorsque les conditions sont douteuses. « Quand vous avez des doutes, ça vaut la peine des fois, quand il n’y a personne derrière, de faire un petit test, freiner. Là, tu viens d’aller chercher de l’information qui t’indique la distance que tu vas avoir besoin pour freiner. »
Cette simple pratique permet non seulement d’évaluer l’adhérence, mais aussi de déterminer si ralentir en dessous de la limite de vitesse serait approprié.
Le retard visuel : un danger invisible
Un concept particulièrement important que Godin enseigne est celui du retard visuel. Beaucoup de conducteurs regardent un virage trop tard, ce qui affecte leur calcul de freinage pour l’aborder. « Ce n’est pas qu’ils arrivaient trop vite, c’est qu’ils étaient en retard visuellement », précise-t-il.
Il compare cela au jeu Tetris : quand les blocs s’empilent, on a l’impression que ça accélère, mais en réalité, on a simplement moins de distance pour voir, analyser et agir. Sur la route, regarder loin devant permet de rester calme et d’éviter la vision tunnel induite par le stress.
Les techniques pour maîtriser le dérapage
Conduire, c’est un peu mettre en pratique certaines notions de physique. À ce titre, la gestion du transfert de masse est cruciale en conditions hivernales. Godin explique que lors du freinage, la zone de contact des pneus augmente. Sur une surface mixte — glace d’un côté, asphalte sec de l’autre — cette différence d’adhérence peut faire pivoter le véhicule.
« Si la voiture pivote et que t’as besoin de continuer de freiner, tu tournes le volant dans la direction où tu veux aller », conseille-t-il. Mais attention : beaucoup de conducteurs contre-braquent sans calculer le bon angle, ce qui peut créer un second dérapage dans la direction opposée… et une bonne frousse ou une visite dans le décor.
La manipulation en douceur : la clé du succès
La règle d’or de Godin pour la conduite hivernale? « C’est simple, l’hiver, c’est de manipuler le pédalier tout en douceur. » Il recommande d’imaginer une corde tendue entre le volant et la pédale d’accélérateur: on ne peut progressivement accélérer qu’en ramenant le volant vers sa position centrale.
Planifier comme un pilote d’avion
Godin établit un parallèle intéressant avec l’aviation. « Dans le monde de l’aviation, ils prennent le temps d’analyser le trajet qu’ils vont faire, d’analyser la météo, les conditions de la piste. On devrait faire la même chose. »
Certains jours, notamment lors de grands vents avec poudrerie créant des « voiles blancs » sur les autoroutes, la décision la plus sage peut être de rester chez soi ou d’emprunter des chemins de campagne plus boisés. « Il vaut mieux regretter de ne pas avoir pris l’avion que de regretter d’avoir pris l’avion », philosophe-t-il.
La formation : un cadeau qui peut sauver des vies
Malgré son expérience, Godin reconnaît le défi d’éduquer les conducteurs. « On dit d’adapter notre conduite en conditions hivernales. Mais il est où le cours d’adaptation? » Pour un jeune conducteur, cette consigne reste abstraite sans formation pratique. « C’est comme si un musicien se retrouvait à faire un concert sans avoir pratiqué avant », illustre-t-il.

Le pilote recommande vivement des cours de conduite avancée, particulièrement dans des complexes comme Mécaglisse à Notre-Dame-de-la-Merci, où les conducteurs peuvent découvrir les réactions de leur véhicule dans un environnement sécuritaire.
Un parcours exceptionnel
Né le 17 novembre 1967 à Saint-Hyacinthe, Bertrand Godin a débuté sa carrière en karting à 18 ans. Son talent l’a rapidement propulsé vers l’Europe où il est devenu pilote d’usine pour l’écurie Mygale en Formule Ford en 1992, décrochant le titre de vice-champion de France à deux reprises en 1993 et 1994.
De retour au Québec, il a connu des succès marquants en Formule Atlantique en 1997, remportant notamment le Grand Prix du Canada et le Grand Prix de Cleveland. Il a également couru en Formule 3000 sur les circuits prestigieux de Monaco, Spa-Francorchamps et Silverstone.
Aujourd’hui, Godin est analyste officiel des courses de Formule E à TVA Sports depuis 2021 et chroniqueur à La Presse depuis 2022. En mai 2022, il a été intronisé au Panthéon canadien du sport automobile (CMHF), rejoignant des légendes comme Gilles Villeneuve, Jacques Villeneuve et Paul Tracy.
Un rêve qui se concrétise
En avril 2026, Godin réalisera le rêve d’une vie : il deviendra le premier pilote québécois à participer au Grand Prix historique de Monaco, au volant d’une Arrows A1B de 1978, la même voiture pilotée par Riccardo Patrese. La course, baptisée série F-Gilles-Villeneuve en l’honneur de son idole d’enfance, se déroulera du 24 au 26 avril sur le mythique circuit monégasque.
Lors d’essais en novembre dernier en Italie, Godin a battu le record au tour d’une F1 historique sur le circuit de Crémone avec un temps de 1 minute 28,7 secondes. « C’était vraiment un beau moment. J’étais en harmonie avec cette voiture-là », confie-t-il avec émotion.
Conclusion : devenir un pilote, pas seulement un conducteur
En conclusion de notre entretien, Godin résume sa philosophie : « Je pense qu’il faut que les gens soient plus que des conducteurs, il faut qu’ils soient des pilotes, parce qu’il y a comme une responsabilité qui vient avec aller à bon port de manière sécuritaire pour tout le monde. »
Cet hiver, alors que les routes québécoises se transforment en défis quotidiens, les conseils de Bertrand Godin résonnent avec une pertinence particulière. Comprendre son véhicule, anticiper les conditions, regarder loin devant, manipuler les commandes avec douceur et surtout, ne jamais cesser d’apprendre – voilà la recette d’une conduite hivernale réussie.
Pour en savoir plus sur les cours de conduite avancée, Bertrand Godin recommande le complexe Mécaglisse à Notre-Dame-de-la-Merci. Le Grand Prix historique de Monaco sera diffusé en direct sur la chaîne YouTube du Grand Prix de Monaco les 24, 25 et 26 avril 2026.
