C’est dans la splendide (et même temps plus intimiste que la Maison symphonique) salle Bourgie du Musée des Beaux-arts de Montréal que nous accueillions vendredi dernier les Violons du Roy, dans une formation plus resserrée ne comprenant que des instruments à cordes, et leur nouveau chef Jonathan Cohen pour son deuxième concert montréalais. À l’honneur de cette programmation : La mandoline. Un instrument qu’aujourd’hui encore nous associons souvent à la musique populaire pour ne pas dire folklorique des rives de la Méditerranée et des images de cartes postales avec un rien de dédain de la part des amateurs du Grand répertoire.

Pourtant cet instrument, de la famille des luths, mérite bien mieux que cette condescendance appliquée comme nous l’a magistralement démontré hier soir l’extraordinaire mandoliniste Avi Avital, premier mandoliniste soliste sélectionné pour un prix Grammy dans la catégorie Musique classique, et premier à avoir signé avec le prestigieux Deutsche Grammophon. Avi Avital, invité d’honneur de ce concert est un soliste d’exception. Dans ce concert, éblouissant de maîtrise instrumentale mais aussi de présence sur scène d’Avi Avital qui rayonnait et visiblement exultait, nous avons découvert l’exigence, la dextérité que cet instrument demande. Et pourtant rien de laborieux, d’emprunté ni de pesant dans sa façon de jouer. Mais bien plutôt une joie, un bonheur qu’il a su communiquer à la salle qui l’a véritablement ovationné mais aussi aux musiciens qui partageaient visiblement son enthousiasme et lui ont clairement témoigné leur admiration lors des applaudissements et des rappels. Un soliste qui a emmené non seulement l’auditoire mais aussi le reste de l’orchestre devenant véritablement le chef d’orchestre de ce concert. Saluons d’ailleurs la générosité et l’élégance du chef Jonathan Cohen qui s’est comme effacé devant lui. On avait presque la sensation de vivre, un concert avec la dynamique que peut apporter aujourd’hui un guitariste dans un concert de rock. Il est vrai que ce mandoliniste d’exception pour lequel des compositeurs contemporains créent des œuvres met à son répertoire aussi bien la musique classique ou la musique orientale…Que le jazz,

Rarement le titre d’un concert n’a aussi bien porté son nom. La mandoline virtuose! Aussi, grâce à ce concert et au soliste charismatique Avi Avital nous avons découvert, subjugués, la richesse musicale mais aussi la difficulté de cet instrument, l’apport exceptionnel qu’il donne à la musique baroque qui pourtant à l’exception des musiciens italiens l’ont quasiment ignoré. Du coup, l’on avait presque l’impression que les trois œuvres interprétées sans mandoline, bien que parfaitement interprétées, manquaient d’éclat, de personnalité dans leur partition, notamment celles du pourtant Maître Handel comme celle d’Avison.

C’est Vivaldi qui mis la mandoline à l’honneur de plusieurs de ses concertos construisant ainsi un pont entre musique populaire et grande musique. Un dialogue parfaitement illustré dans le très beau morceau interprété durant le rappel. Il était donc tout naturel que la musique italienne et plus particulièrement Vivaldi soient à l’honneur de la programmation notamment son plus célèbre concerto pour mandoline RV 425. Dans ce concerto, l’accompagnement des cordes fut presque entièrement composé de pizzicato; cet effet ou les cordes sont “pincés” au lieu de se servir de l’archet pour créer le son. (le mandoline lui est joué principalement avec un plectre).

Mais l’intérêt et non des moindres de ce concert a été aussi de mettre au programme trois autres compositeurs du 18ème siècle, Giovanni Paisiello, Francisco Durante tous deux Italiens et Charles Avison, Anglais. Des compositeurs que notre époque a quelque peu oubliés mais dont la qualité des œuvres, comme nous l’a démontré le concert d’hier n’a rien à envier à d’autres, passés de façon plus affirmative à la postérité Le Concerto pour mandoline en mi bémol majeur attribué à Giovanni Paisiello (certains exégètes l’attribuent plutôt à un compositeur anonyme français) nous confirmait la pertinence de la mandoline dans la gamme instrumentale de l’époque. Le Concerto pour cordes no 8 en la majeur « La Pazzia » de Francisco Durante, bien que sans mandoline, fut pourtant l’autre moment fort de cette programmation. La pazzia, (ou folie) habitait véritablement cette œuvre exigeante pour les interprètes autant musicalement que physiquement. Les musiciens, notamment les deux altos Annie Morrier et Jean-Louis Blouin ainsi que Pascale Giguère 1er violon, ont joué à la perfection rendant parfaitement l’intensité dramatique autant que théâtrale de l’œuvre.

Mais plus généralement c’est aussi, une fois encore, la performance de tous les musiciens des Violons du Roy qui a marqué ce concert. Des musiciens qui ont joué, pour nombre d’entre eux, debout, pendant presque deux heures (à l’exception d’un entracte d’un quart d’heure) en parfaite harmonie et avec, c’est quasiment la marque de fabrique de cet orchestre, le visible bonheur d’être là, de vivre et de partager ces moments d’exception entre eux, avec nous.
Pour ce deuxième concert le chef Jonathan Cohen nous a confirmé qu’il était l’homme de la situation. Il se confirme comme étant celui qui sait assurer une relève réussie en sachant garder ce qui a fait la réputation des Violons du Roy tout en lui impulsant ce petit air de nouveauté qui lui fera parcourir, pour notre plus grand bonheur, des chemins du répertoire, de l’instrumentation comme des solistes invités jusque là inexplorés. Illustrant cette fois encore à merveille sa déclaration lors de son premier concert : « J’aurai le bonheur de côtoyer, pour les années à venir, des musiciens tout simplement extraordinaires, avec qui la recherche toujours renouvelée de la beauté et du sens de la musique se fait de façon toute naturelle, dans le plaisir et le respect… ».

Soulignons que ce concert a été enregistré et sera diffusé sur les ondes d’ICI Musique le jeudi 27 décembre à 18h à l’émission Toute une musique animée par Marie-Christine Trottier. Une occasion peut-être pour ceux qui ont assisté au concert d’hier soir de pouvoir l’entendre à nouveau en retrouvant la place un peu perdue du clavecin qui disparaissait quelque peu, probablement dû au fait qu’il était le seul des instruments ( du fait de la double fonction de chef et de claveciniste de Jonatha Cohen) tourné vers le fond de la scène.
Nous aurons aussi le bonheur de retrouver Avi Avital, à la salle Bourgie le 6 avril prochain pour le concert, Avital vis à vis d’Avital Nous y découvrirons, à n’en point douter, dans un programmation qui alliera jazz, musique classique et musique orientale que l’éclectisme est une richesse non une dispersion.

La Mandoline Virtuose
Avi Avital : mandoline
Chef, Directeur musical Jonathan Cohen
Clavecin : Jonathan Cohen
Programme :
A. VIVALDI
Concerto pour mandoline en do majeur, RV 425
Concerto pour luth en ré majeur, RV 93 (Adapt. pour mandoline A. Avital)
G. PAISIELLO (attribué à)
Concerto pour mandoline en mi bémol majeur
C. AVISON
Concerto grosso no 7 en sol mineur (d’après D. Scarlatti)
G.F. HANDEL
Concerto grosso en si mineur, op. 6 no 12, HWV 330
F. DURANTE
Concerto pour cordes no 8 en la majeur « La Pazzia »

http://www.violonsduroy.com/fr
23 novembre 2018-
Salle Bourgie du Musée des Beaux-arts de Montréal
© photo : Jacques Gaines