La Maison symphonique accueillait samedi soir le concert Anthony Roth Costanzo chante Handel et Glass donné par les Violons du Roy. Ce concert inaugural de la 35ème saison de ce prestigieux orchestre était marqué par la direction attendue du tout nouveau chef et directeur musical Jonathan Cohen, qui vient de prendre la succession du chef fondateur Bernard Labadie. Ce britannique est déjà mondialement connu et reconnu comme chef d’orchestre mais aussi violoncelliste et claveciniste. Très engagé envers la musique de chambre et plus particulièrement de la période baroque, vocation même de l’ensemble dont il prend aujourd’hui la direction, il est aussi directeur artistique et fondateur d’Arcangelo, chef associé aux Arts Florissants, directeur artistique du Festival de Tetbury en Angleterre et partenaire artistique du célèbre Saint Paul Chamber Orchestra au Minnesota. Autant d’engagements qui prouvent son excellence mais aussi le rayonnement des Violons du Roy qui ont su l’attirer et le convaincre de les accompagner jusqu’en 2021. Mais nous retrouverons aussi Bernard Labadie qui conserve la direction musicale de La Chapelle de Québec. La collaboration entre ces deux grands de la musique baroque et de la direction de formations musicales sera, pour notre plus grand plaisir, certainement inspirante et fructueuse.
C’est avec audace et goût de la nouveauté et de l’ouverture que Jonathan Cohen a composé le programme de ce premier concert. En effet, allier dans un même concert, qui plus est d’un ensemble dédié plus particulièrement à l’art baroque et classique, George Frederic Handel et le compositeur contemporain Philip Glass l’un des maîtres du « minimalisme musical » avait de quoi, de prime abord, surprendre et même peut-être, pour plus d’un, désorienter. Quelle synergie pouvait naître de cette alliance qui se devait, pour la cohérence du concert, être plus qu’une juxtaposition? Quelle intrusion la musique contemporaine venait faire dans ce répertoire musical des Violons du Roy dédié aux musiques baroque et classique? S’agirait-il d’un simple collage dont la seule raison d’être serait le répertoire personnel du soliste invité, le contre-ténor Anthony Roth Costanzo?
Dès le début du concert, le Directeur général des Violons du Roy, Hugo Sanschagrin et Anthony Roth Costanzo, nous alertent sur ce présupposé que les ruptures de dates signifieraient des ruptures musicales fondamentales. Le premier nous parle de dialogue et le second nous livre : Handel a été ma formation, mon fondement mais c’est Philip Glass qui m’a apporté l’ouverture. Loin d’une démonstration fastidieuse de théorie musicale et de parcours créatifs communs où l’on aurait parlé de l’importance du théâtre, d’implication dans l’art lyrique, de composition d’opéras, Anthony Roth Costanzo, nous a seulement livré cette seule clef de compréhension théorique : On reconnaît dans chacun de ces compositeurs ce recours structurant de la répétition incantatoire de courts motifs dont Glass fera, avant de s’en éloigner peu à peu pour revenir à une grammaire plus classique, le principe fondateur du « minimalisme musical » dont il est l’un des chefs de file. Leur force de persuasion a été de nous faire écouter et surtout entendre ce dialogue. Nous avons découvert une filiation au travers des siècles, comme si les oppositions d’un temps des descendants qui s’opposent aux principes des pères finalement en étaient nés et les nourrissaient à leur tour pour construire une évolution harmonieuse dans laquelle les différences sont autant d’enrichissements d’une culture et d’une histoire commune. Et, ébahis, nous avons entendu, nous avons été convaincus grâce à la qualité exceptionnelle et intense du concert qui nous était offert. On dit parfois qu’une image vaut mieux que 1000 mots. Hier soir, sans conteste on pouvait affirmer que le programme d’un concert et la puissance de son interprétation valaient 1000 mots.
Ce concert fut aussi un moment privilégié d’hymne à cet instrument qu’est la voix grâce à l’interprétation fabuleuse d’Anthony Roth Costanzo et encore magnifiée, si besoin été, par le splendide écrin des Violons du Roy. Saluons ce soliste exceptionnel à la carrière internationale remarquable qui nous a fait, on peut le dire, l’honneur d’être sur scène et de jouer, (avec la prestation à Québec), en première ce concert audacieux mais combien exigeant pour un soliste. Un soliste qui fut sur scène, seul chanteur, pendant presque les deux heures du concert et qui après les rappels a encore eu cette générosité et l’énergie de nous offrir un dernier air de Handel. Quelle maîtrise de sa voix notamment dans les mélismes. Quelle pureté! Et si les parties jouées du Concerto grosso en ré mineur, op.6 no10, HWV328 de Handel paraissaient plus communes, plus interchangeables entre elles, c’était bien parce que l’instrument vocal en étant absent et ce n’était certainement pas dû à l’interprétation des Violons du Roy. Une interprétation toujours excellente, notamment les premiers violons et le hautbois, et ce malgré peut-être parfois quelques hiatus des enchaînements à mettre probablement sur le compte d’un répertoire très bien maîtrisé mais peut-être moins répété avec un nouveau chef d’orchestre avec lequel on n’a pas encore toutes les connivences.
Mais la magie a aussi opéré grâce à l’exceptionnelle chaleur humaine qui émanait des artistes. Une fois encore les Violons du Roy nous ont charmés, convaincus et surtout transmis leur amour de la musique, leur plaisir de le partager. Une chaleur humaine, un goût du partage, une générosité qu’Anthony Roth Costanzo, et Jonathan Cohen possèdent à l’évidence eux aussi. Il est tellement rare que dans des concerts de musique classique, soliste, chef d’orchestre et musiciens, à l’unisson, communiquent, à ce point avec la salle, irradient non seulement par leurs prises de paroles (notamment Anthony Roth Costanzo qui a eu de plus l’élégance et le respect de le faire en français) mais aussi par leurs sourires y compris pendant leurs propres interprétations, montrent une réelle écoute attentive (et pas seulement technique pour suivre le déroulement du concert) des autres musiciens lors de leurs solos ou du soliste. On était tellement loin des ces musiciens blasés, empesés, drapés dans ce qu’ils considèrent être la supériorité de la « grande musique ». Avant la magistrale interprétation de The Encounter (1000 Airplanes on the Roof) de Philipp Glass par Anthony Roth Costanzo sur un arrangement superbe pour musique de chambre de cette œuvre conçue à l’origine pour être jouée dans un hangar à avions avec seulement un soliste et des synthétiseurs (!), le soliste, charismatique, nous annonçait visiblement en jubilant que cela allait être excitant!!! Un bonheur d’être là, pour le moins communicatif!
Jonathan Cohen ne s’en est pas caché : C’est son amitié pour Anthony Roth Costanzo qui l’a amené à construire ce programme (après l’enregistrement d’un disque de ce même programme avec les Violons du Roy) autour du répertoire du soliste. Certains esprits chagrins pourraient y voir un copinage de mauvais aloi. Bien au contraire, ils nous ont fait la démonstration de combien une telle amitié peut être constructive et enrichissante pour la formation musicale qui l’accompagne comme pour les auditeurs que nous sommes tant par les complicités musicale et humaine que par le goût de l’audace d’oser ensemble qui l’animent.
Dans le livret du concert et ses premières déclarations Jonathan Cohen déclarait : « J’aurai le bonheur de côtoyer, pour les années à venir, des musiciens tout simplement extraordinaires, avec qui la recherche toujours renouvelée de la beauté et du sens de la musique se fait de façon toute naturelle, dans le plaisir et le respect. Je suis heureux de me joindre à l’aventure déjà si riche des Violons du Roy et d’être invité à y ajouter ma vision artistique » Le concert donné ce samedi à la Maison symphonique fut en cela particulièrement convainquant.
Anthony Roth Costanzo chante Handel
G.F. HANDEL (1685-1759)
Extraits d’opéras (Tolomeo HWV25, Flavio HWV16, Amadigi di Gaula HWV11, Rodelinda HWV19)
Concerto grosso en ré mineur, op.6 no10, HWV328
P. GLASS (né en 1937)
Hymn (Akhnaten)
Premier mouvement de la Symphonie no3
Liquid Days, Part 1 (Songs from Liquid Days)
In the Arc of Your Mallet (Monsters of Grace)
The Encounter (1000 Airplanes on the Roof)
Soliste : contre-tenor : Anthony Roth Costanzo
Chef, Directeur musical et clavecin: Jonathan Cohen
http://www.violonsduroy.com/fr
29 septembre 2018-
Maison symphonique de Montréal
1600, rue Saint-Urbain, Montréal
© photo : courtoisie