À l’occasion de la sixième édition de l’exposition Fleurs de Ville à Québec, qui se déroule du 22 au 26 octobre 2025 à Place Ste-Foy, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Vincent Jobin, propriétaire d’Élysée Fleurs, un fleuriste du quartier Saint-Sacrement qui participe fidèlement à cet événement depuis ses débuts dans la capitale. Cette conversation révèle non seulement les coulisses d’un projet créatif ambitieux, mais aussi l’état actuel d’une industrie florale québécoise en pleine transformation. 

Cet événement gratuit et accessible au public transforme le centre commercial en une véritable galerie d’art florale éphémère, où 15 mannequins sont habillés de robes confectionnées entièrement de fleurs fraîches par des fleuristes talentueux de la région. Cette année, le thème Automne invite les créateurs à célébrer la richesse chromatique et la poésie de la saison dorée, offrant une liberté créative accrue par rapport aux éditions précédentes qui imposaient des contraintes thématiques plus strictes.

Une participation fidèle et un défi créatif renouvelé 

Vincent Jobin, à la tête d’Élysée Fleurs depuis plusieurs années, incarne l’esprit de fidélité et d’innovation qui caractérise cet événement. Comme il l’explique avec enthousiasme, sa boutique a participé à toutes les éditions depuis le lancement de Fleurs de Ville à Québec, soit six apparitions consécutives. Cette constance témoigne de l’importance accordée par les fleuristes locaux à cette vitrine exceptionnelle qui leur permet de démontrer leur savoir-faire artistique au-delà des arrangements traditionnels du quotidien.

Le défi représente le cœur même de l’attraction pour Vincent. Chaque année, un nouveau thème impose des contraintes qui poussent les participants à se renouveler constamment et à explorer de nouvelles techniques de construction florale. Contrairement aux années précédentes où les thèmes étaient plus restrictifs – comme l’édition 2024 qui obligeait les fleuristes à s’inspirer de portraits de femmes artistes issus des collections du Musée national des beaux-arts du Québec – l’édition 2025 offre davantage de latitude créative tout en maintenant une cohérence saisonnière.

Une collaboration avec le design de haute couture 

Pour cette édition automnale, Élysée Fleurs a choisi de collaborer avec Juana Martin, une designer espagnole. Cette approche interdisciplinaire illustre la volonté de Vincent Jobin de positionner son travail à l’intersection de l’art floral et de la mode contemporaine, deux univers qui partagent une esthétique commune centrée sur l’éphémère, la texture et la couleur.

La robe créée par l’équipe d’Élysée Fleurs arbore des teintes pastel et beige, choisies spécifiquement pour évoquer les nuances naturelles de l’automne et pour s’harmoniser avec les couleurs et textures de la robe originale conçue par la designer. Cette attention méticuleuse aux détails chromatiques et structurels reflète l’approche classique et chic qui définit l’identité de marque d’Élysée Fleurs, une philosophie que Vincent réitère fièrement : contrairement à certains participants qui intègrent des légumes ou des éléments plus fantaisistes, son équipe privilégie une élégance intemporelle.

Un investissement considérable en temps et en ressources 

La réalisation d’une œuvre florale de cette envergure représente un investissement. Vincent révèle que la création de leur mannequin floral nécessite approximativement trois à quatre jours de travail intensif avec une équipe de trois personnes. Pour se concentrer pleinement sur ce projet, il a même fermé boutique pendant deux jours consécutifs afin de permettre à l’équipe de se consacrer exclusivement à la fabrication de cette robe florale monumentale.

Ce sacrifice souligne l’engagement profond envers l’événement. Le processus créatif s’étend en réalité sur un mois complet, du brainstorming initial avec les organisateurs jusqu’à l’installation finale. Les fleuristes doivent soumettre leurs esquisses, recevoir l’approbation des organisateurs de Fleurs de Ville, puis planifier méticuleusement la logistique d’approvisionnement et de construction.

Si un client hypothétique souhaitait commander une telle création pour un mariage, le coût atteindrait environ 7 000 $, un montant qui reflète non seulement le prix des matériaux mais aussi les centaines d’heures de travail artisanal requises. Ce chiffre met en perspective la valeur artistique et économique de ces installations éphémères qui ne dureront que cinq jours avant de commencer à se faner.

Financement et contraintes budgétaires 

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les fleuristes participants ne reçoivent pas une rémunération directe pour leur travail. Vincent explique que l’organisation de Fleurs de Ville fournit un budget matériel qui permet d’acheter les fleurs et les fournitures nécessaires auprès du fournisseur officiel de l’événement.

Les fleuristes doivent généralement respecter ce budget imposé, bien qu’ils aient la liberté d’investir leurs propres fonds s’ils souhaitent enrichir davantage leur création. Cette structure financière transforme essentiellement la participation en un investissement marketing plutôt qu’en une opportunité lucrative à court terme. La véritable compensation réside dans la visibilité médiatique et la reconnaissance professionnelle que procure l’événement, des atouts précieux dans un marché concurrentiel.

Une vitrine exceptionnelle pour les fleuristes québécois 

La valeur promotionnelle de Fleurs de Ville ne peut être sous-estimée. Comme Vincent le souligne avec conviction, la publicité et la couverture médiatique entourant l’événement sont extrêmement puissantes, générant un buzz considérable qui fait parler de sa boutique bien au-delà de la semaine de l’exposition. Cette exposition gratuite attire des milliers de visiteurs à Place Ste-Foy – offrant ainsi une audience massive que peu de campagnes publicitaires traditionnelles pourraient égaler.

Au-delà de l’aspect commercial, la participation représente une opportunité de développement professionnel inestimable pour les équipes des fleuristes. Vincent insiste sur l’importance de cette expérience pour ses employés, particulièrement pour les étudiants en fleuristerie qui peuvent ainsi acquérir une expérience pratique en design événementiel. Le Centre de formation professionnelle Fierbourg, situé à Québec et offrant un programme en fleuristerie, participe également à l’événement, illustrant cette dimension pédagogique.

L’événement sort les fleuristes de leur routine quotidienne, les forçant à stimuler leur créativité et à explorer des techniques qu’ils n’emploieraient jamais pour des arrangements commerciaux standard. Cette dimension de recherche et développement bénéficie ultimement à l’ensemble de la pratique professionnelle, car les techniques innovantes développées pour ces créations spectaculaires peuvent ensuite être adaptées et intégrées aux services réguliers de la boutique.

Fleurs de Ville : Un phénomène mondial né à Vancouver 

Pour comprendre pleinement la portée de l’événement auquel participe Vincent Jobin, il convient de retracer les origines internationales de Fleurs de Ville. L’organisation a été fondée en 2015 par Karen Marshall et Tina Barkley, deux spécialistes du marketing et des médias basées à Vancouver, en Colombie-Britannique. Leur vision consistait à réinventer le modèle traditionnel des expositions florales en créant des expériences immersives qui marient l’art floral à la mode de luxe, tout en mettant en valeur le talent des fleuristes locaux dans chaque ville hôte.

Depuis sa création, Fleurs de Ville a connu une expansion remarquable, atteignant désormais 32 villes dans quatre pays à travers le monde. L’organisation a présenté des expositions dans des métropoles prestigieuses telles que Sydney, Melbourne, Londres, New York, Los Angeles, Chicago, Miami, Toronto et, bien sûr, Québec. Cette dimension internationale confère une légitimité et un prestige considérables aux fleuristes participants, qui peuvent ainsi inscrire leur travail dans un réseau global d’excellence florale.

Le processus de sélection et les règles de compétition 

Contrairement à ce que suggère le mot « compétition », Fleurs de Ville cultive délibérément un esprit collaboratif plutôt que strictement compétitif. Vincent décrit l’événement comme une « compétition amicale » où les fleuristes se soutiennent mutuellement et partagent leurs connaissances, créant ainsi une communauté professionnelle solidaire.

Néanmoins, plusieurs prix sont décernés lors de l’événement, reflétant différentes perspectives d’évaluation. Au lancement, qui a lieu le premier soir, les fleuristes participants votent pour leur création favorite, décernant le prix du favori des pairs. Les juges professionnels attribuent également des distinctions pour diverses catégories, notamment le prix du mannequin le plus créatif et celui du plus réaliste. Enfin, et peut-être plus important encore, le prix du public permet aux visiteurs de voter pour leur œuvre préférée tout au long de la semaine, du mardi au dimanche. Cette approche démocratique engage directement la communauté et transforme les visiteurs en participants actifs de l’événement.

Les gagnants reçoivent des trophées symboliques ainsi qu’une reconnaissance médiatique accrue, des atouts précieux pour leur réputation professionnelle. Les visiteurs qui participent au vote courent également la chance de gagner des prix attractifs, tels qu’une carte-cadeau de 500 $ de Place Ste-Foy et un mois de fleurs fraîches, stimulant ainsi l’engagement du public.

L’industrie florale québécoise : Entre défis et renouveau 

Au-delà de l’événement spécifique de Fleurs de Ville, l’entrevue avec Vincent Jobin offre un aperçu précieux de l’état actuel de l’industrie florale québécoise. Interrogé sur la santé du marché des fleuristes à Québec, Vincent adopte un ton résolument optimiste, déclarant que le secteur « s’améliore ».

Cette amélioration fait suite à une période difficile. Vincent reconnaît qu’un nombre important de boutiques ont fermé depuis 2019, une tendance qui reflète probablement l’impact de la pandémie de COVID-19 sur le commerce de détail. Cependant, il observe simultanément un phénomène encourageant : une nouvelle génération de jeunes fleuristes reprend des boutiques existantes ou lance de nouvelles entreprises. Cette revitalisation entrepreneuriale insuffle un dynamisme renouvelé dans l’industrie.

Le Centre de formation professionnelle Fierbourg, qui offre le programme de DEP en fleuristerie, connaît d’ailleurs un nombre d’inscriptions record. Cet intérêt croissant de la jeunesse québécoise pour le métier de fleuriste suggère que la profession bénéficie d’une image renouvelée et d’une attractivité retrouvée.

Les tendances émergentes : localisation et durabilité 

Une transformation majeure affecte actuellement l’industrie florale québécoise : la demande croissante pour les fleurs locales. Plusieurs fleuristes interrogés par les médias en 2025 rapportent que jusqu’à 60% de leur inventaire provient désormais du Québec ou du Canada. Cette tendance vers la localisation répond à une conscience environnementale accrue des consommateurs, qui souhaitent réduire l’empreinte carbone associée à l’importation de fleurs de l’hémisphère sud ou de l’Amérique centrale.[11] 

Les fermes florales locales connaissent d’ailleurs une explosion de popularité. Des producteurs comme Fleurs La Garance et Écofleurs, situés près de Québec, cultivent des dizaines de variétés de fleurs coupées en utilisant des méthodes biologiques et offrent leurs produits directement aux fleuristes et aux consommateurs via les marchés publics et des boutiques partenaires. Ce mouvement « slow flowers », inspiré du mouvement slow food, privilégie les fleurs de saison cultivées localement plutôt que les importations standardisées disponibles toute l’année.

Les défis spécifiques de l’emplacement d’Élysée Fleurs 

Au-delà des dynamiques sectorielles générales, Vincent Jobin fait face à un défi particulier lié à l’emplacement de sa boutique sur le chemin Sainte-Foy à Québec. Lors de l’entrevue, il mentionne avec une certaine frustration l’impact de la récente transformation de cette artère commerciale, où une piste cyclable bidirectionnelle a été installée, éliminant le stationnement de rue de part et d’autre de la voie.

Cette modification infrastructurelle a eu des conséquences commerciales significatives pour Élysée Fleurs. Vincent rapporte que sa clientèle a « beaucoup réduit » depuis l’installation de la piste cyclable, un déclin qu’il attribue principalement aux difficultés d’accès pour sa clientèle relativement âgée qui dépend de l’automobile. Cette problématique illustre les tensions urbaines contemporaines entre la promotion des modes de transport actifs et la préservation de l’accessibilité commerciale traditionnelle.

Avec les élections municipales qui approchaient au moment de l’entrevue (octobre 2025), Vincent exprimait l’espoir qu’un changement politique puisse entraîner une reconfiguration de la piste cyclable ou une restauration partielle du stationnement. Cette dimension politique révèle comment les décisions d’aménagement urbain affectent directement la viabilité économique des petites entreprises locales, un enjeu qui dépasse largement le secteur floral et concerne l’ensemble du commerce de détail de quartier.

L’éphémère comme essence de l’art floral 

Un des aspects les plus fascinants de Fleurs de Ville réside dans son caractère fondamentalement éphémère. Vincent reconnaît d’emblée que les créations sont « totalement éphémères », une réalité qui ajoute paradoxalement à leur valeur artistique et émotionnelle. L’événement dure cinq jours au total, incluant le lancement, et les fleuristes doivent s’assurer que les fleurs maintiennent leur fraîcheur tout au long de cette période.[1] 

Cette nécessité de rafraîchir les robes florales durant l’événement implique un travail continu de maintenance. Les fleurs fanées doivent être remplacées, les arrangements réajustés, et l’hydratation constamment surveillée. Ce travail invisible représente un investissement supplémentaire en temps et en énergie, mais il est essentiel pour préserver l’intégrité visuelle des installations jusqu’au dernier jour.

La question de la portabilité de ces robes florales intrigue naturellement le public. Vincent confirme que la plupart de ces créations ne sont pas conçues pour être portées dans un contexte réel. Leur structure repose sur des armatures rigides et des mécanismes de support qui ne permettraient pas le mouvement naturel requis pour marcher ou danser. De plus, le poids combiné de centaines de fleurs fraîches rendrait le port de ces robes extrêmement inconfortable.

Néanmoins, Vincent nuance ce constat en expliquant qu’il serait techniquement possible de créer une robe florale adaptée pour être portée, mais que cela nécessiterait une conception entièrement différente privilégiant la légèreté et la flexibilité au détriment de la densité visuelle spectaculaire. De telles créations existent effectivement pour certains événements de mode avant-gardiste ou pour des séances photos haute couture, mais elles représentent un tout autre registre de complexité technique.

Les fleuristes participants : Une vitrine de la diversité créative québécoise 

L’édition 2025 de Fleurs de Ville à Québec réunit un ensemble impressionnant de 14 fleuristes et ateliers floraux de la province, chacun apportant sa sensibilité artistique distinctive. Outre Élysée Fleurs, les participants incluent À Fleurs de Pot, Calyx Floral Design, le Centre de formation professionnelle Fierbourg, Denyse Proulx Conception Florale, Des Fleurs Pleines des Yeux, Feu Fleurs, Fleuriste Racine Karé, Fleurs de Laurier inc., Rita Fleuriste Sherbrooke, Signature Johanne Martel, et Vertige Fleurs et Cadeaux.

Cette diversité de participants reflète la richesse du tissu entrepreneurial floral québécois. Certains, comme Élysée Fleurs, sont des boutiques établies avec pignon sur rue depuis de nombreuses années. D’autres, comme Calyx Floral Design ou Des Fleurs Pleines des Yeux, représentent une nouvelle génération d’ateliers floraux qui privilégient souvent une approche plus contemporaine et expérimentale. L’inclusion du Centre de formation professionnelle Fierbourg souligne également la dimension pédagogique de l’événement, permettant aux étudiants d’apprendre directement auprès de professionnels établis.

Cette coexistence de générations et de styles crée une exposition véritablement hétérogène où chaque mannequin floral raconte une histoire esthétique différente. Les visiteurs peuvent ainsi observer côte à côte des créations classiques et élégantes, des compositions audacieuses et avant-gardistes, des hommages floraux délicats et des installations sculpturales monumentales. Cette variété garantit que chaque visiteur trouvera au moins une œuvre qui résonne avec sa propre sensibilité esthétique. 

Les perspectives d’avenir pour l’événement 

Alors que l’édition 2025 débute, Vincent Jobin exprime son espoir que Fleurs de Ville continue à revenir à Québec dans les années à venir. Il souhaite également voir davantage de fleuristes locaux se joindre à l’événement, augmentant ainsi le nombre de créations exposées et enrichissant la diversité de l’exposition. Cette ambition reflète la reconnaissance collective de la valeur que l’événement apporte tant aux professionnels de l’industrie qu’à la communauté élargie.

Le succès constant de Fleurs de Ville à Québec – maintenant à sa sixième édition locale – suggère que l’événement a trouvé un public fidèle et un écosystème de partenaires engagés. La formule qui marie art, commerce et accessibilité (l’entrée demeure gratuite) semble avoir trouvé un équilibre viable qui satisfait toutes les parties prenantes : les organisateurs de l’événement, le centre commercial hôte, les fleuristes participants, et surtout le public visiteur.

L’expansion globale continue de Fleurs de Ville – avec des événements prévus à Boston en novembre 2025, Toronto et Vancouver en décembre 2025 – témoigne de l’appétit international pour ce type d’expérience florale immersive. Québec s’inscrit ainsi dans un réseau mondial de villes qui célèbrent l’excellence de l’art floral, une reconnaissance qui confère un prestige certain à la scène florale locale.

Conclusion : Fleurs de ville pour célébrer l’excellence florale québécoise 

L’édition 2025 de Fleurs de Ville à Québec représente bien plus qu’une simple exposition de jolies fleurs. Elle incarne la convergence de multiples dimensions : artistique, par la créativité exceptionnelle déployée par les fleuristes participants comme Vincent Jobin; pédagogique, par les opportunités de formation qu’elle offre aux étudiants en fleuristerie; communautaire, par le rassemblement qu’elle crée autour d’une appréciation partagée de la beauté naturelle; et professionnelle, par la vitrine internationale qu’elle offre au talent floral québécois. 

L’invitation est donc lancée aux Québécois et aux visiteurs de la région : avant que les derniers pétales ne fanent ce dimanche 26 octobre, rendez-vous à Place Ste-Foy pour célébrer l’automne à travers le prisme créatif de l’art floral. Et si vous croisez une robe aux teintes beiges évoquant l’élégance d’une collection de la Fashion Week parisienne, sachez que derrière ces centaines de fleurs se cache le travail acharné et la vision artistique de Vincent Jobin et de son équipe d’Élysée Fleurs, véritables ambassadeurs de l’excellence florale québécoise.