Adèle et Robin sont ingénieurs nucléaires à la retraite. Ingénieurs nucléaires. Les bons jobs que pendant un temps on a pu croire pourvoyeurs d’une énergie propre sans risques pour le monde et même les sauveurs du monde…face aux énergies fossiles pollueuses. À moins que cela ne soit juste qu’un petit arrangement avec la vie, pour se donner le beau rôle, fermer les yeux et les oreilles face à ceux qui annonçaient le danger à venir, pour assurer son petit confort, élever ses enfants, leur offrir le niveau de vie que l’on ambitionnait pour eux et pour soit. Puis peu à peu la réalité se profile insidieuse. Mais on peut toujours continuer, laisser faire. On est pas coupables, perdus dans la masse de tous ceux qui savaient plus ou moins et faisaient quand même. On peut même se donner bonne conscience à quelques pas de la centrale que l’on a fait fonctionner pendant des années en devenant à la retraite comme Adèle et Robin fermiers certifiés bio ou en faisant de l’hygiène du corps et du mode de vie son nouveau credo individuel. Jusqu’au jour ou l’accident nucléaire arrive. Et là, votre responsabilité se rappelle à vous, surtout si celle-ci s’incarne dans la venue d’une vielle amie de trente ans, Rose qui vous demande de venir apporter votre aide au sauvetage en relevant les équipes sur place constituées de jeunes qui avaient encore, quelques jours auparavant, la vie devant eux et leurs jeunes familles.. Une façon de payer sa dette et assumer ce que l’on a fait jadis…Va-t-on assumer au nom de l’intérêt collectif, de l’avenir de nos enfants ou tenter de nier, de continuer à se donner bonne conscience, de se voiler la face au nom de son petit bonheur personnel, de la peur de mourir en espérant dans notre chalet retiré passer à travers le drame?.

Tel est le huis-clos avec le drame à ses portes que nous fait partager la pièce Les Enfants. Inspirée par le drame de Fukushima, Les enfants, à l’heure de l’urgence climatique qui est la nôtre, sonne durement à nos consciences.

Car ne nous y trompons pas. Même si nous ne sommes pas comme ces ingénieurs nucléaires les grands acteurs de ce ratage devenu danger immédiat, de la menace nucléaire (pas celle des armes celle de l’énergie), nous n’en sommes pas moins tous les complices parce que nous sommes tous avides de ce confort pour nous et nos enfants que ces ingénieurs nous ont fourni. Tous, plus ou moins, nous sav(i)ons. Nous sav(i)ons, malgré les promesses, que la technologie n’est jamais infaillible et que le risque zéro n’existe pas. Nous sav(i)ons que ces déchets nucléaires que nous enfouissons dans des fosses marines mettrons des siècles à ne plus émettre de substances radioactives, que ces centrales de haute sécurité ne le sont pas vraiment...Mais combien d’entre nous ont posé même parfois les plus simples gestes de réduction de notre confort de notre vie quotidienne immédiate que ce savoir aurait dû nous imposer pour nous, pour les générations futures, pour la terre… Et pourtant, la sauvegarde de la planète n’est-elle pas La question de notre responsabilité? Celle du non retour que nous empruntons pour nous, pour nos suivants? Celle des choix définitifs que nous faisons. Des systèmes politiques, économiques cela se change, se bouleverse ou même se révolutionne. Encore faut-il avoir une planète…Tous collectivement comme individuellement nous avons, comme Adèle, Rose et Robin, fait nos petits arrangements, compromis ou compromissions. Nous avons repoussé la question cruciale et vitale :que sommes-nous réellement prêt-e-s à sacrifier pour l’avenir de l’espèce humaine?

Les Enfants est un questionnement vital que nous pose l’auteure et qui s’illustre entre autres à travers la réplique d’Adèle « Je ne sais pas comment vouloir moins». Mais elle l’est autant, paradoxalement à l’époque de l’individualisme triomphant, au cœur de nos vies individuelles que, surtout, de nos vies collectives. Le cheminement de Robin, Adèle et Rose doit nous aider à faire le nôtre.

Pour nous y conduire l’auteure a su ne pas emprunter la voie du moralisateur accusateur qui à trop culpabiliser par son discours et ses mots nous ouvre l’échappatoire du «je n’ai de leçon à recevoir de personne». Par le biais du dialogue, du décor, de la mise en scène réalistes emprunts de petites choses de la vie quotidienne, d’humour mais aussi de craintes et de non dits entre les personnages le message se fraye inéluctablement un chemin vers nos consciences. Mais aussi parce que Les Enfants n’est pas qu’une pièce sur la question de l’engagement collectif environnemental versus le petit bonheur individuel face au drame. Car cet accident nucléaire est aussi l’occasion pour Rose, Robin et Adèle qui ont connu jadis le triangle amoureux de se questionner sur le sens plus général qu’ils ont donné à leur vie, à leur(s) couple(s). Sur le poids des personnalités des uns et des autres sur leur propre réussite ou non comme sur celle de deux autres protagonistes. Sur l’envie ou non qu’il ont de continuer à donner l’illusion, de se mentir ou de fuir la réalité de la mort inéluctable qui nous guette comme, juste simplement, êtres humains. Cette remise en question plus intimiste entre les trois personnage donne son autre dimension à la pièce. Se faisant écho entre bilan de vie personnel contre questionnement sur l’engagement collectif Les Enfants trouvent alors un cheminement plus humani, personnalisé et moins pontifiant et échappe ainsi à ce risque qui est celui de toute pièce à thème et nous aide à la faire nôtre.

La traduction de Maryse Warda de l’œuvre Lucy Kirkwood, The Childrens, nous éloigne de l’Angleterre terre d’origine de la pièce. Un aspect important du texte original que cette dimension insulaire à la fois isolée mais soumise aux éléments et à leurs dérives venus de nos propres dérives Mais cet ancrage par la traduction dans un univers géographique plus proche du nôtre participe aussi de la capacité de cette création à nous interpeller. Ainsi, pour une fois, cette volonté de ramener la pièce dans un univers qui pourrait plus vraisemblablement être le nôtre n’est pas nombriliste ou ethnocentriste. Cela permet, tout en gardant les lignes fortes du message de la pièce, de nous interdire de nous échapper comme trop souvent nous le faisons face aux dangers écologiques qui menacent la planète en nous permettant de dire : Cela ne nous concerne pas, cela se passe ailleurs, je ne peux rien y faire alors pourquoi changer mon mode de vie?

Les Enfants est une pièce forte, parfaitement mise en scène par Marie-Hélène Gendreau même si le début est un peu lent à se mettre en place. Elle est particulièrement bien servie par les trois comédiens Chantal Baril, Germain Houde et Danielle Proulx. Chacun sait trouver le son juste de son personnage, l’individualiser pour lui donner sa place tout en sachant rester dans la cohérence du trio dans un huis-clos.

Saluons enfin le choix de travailler pour les décors, les accessoires et la scénographie de cette pièce avec l’organisme montréalais ÉcoScéno qui œuvre à favoriser le réemploi et le recyclage de matériaux dans la production artistique. Un choix qui dépasse largement un simple opportunisme lié à la thématique de la pièce puisque les directeurs artistiques de Duceppe se promettent de continuer de travailler avec eux.

Les enfants ( The Childrens)
Texte Lucy Kirkwood

L’équipe de création :
Mise en scène Marie-Hélène Gendreau
Traduction Maryse Warda
Décor:Marie-Renée Bourget Harvey
Costumes:Cynthia St-Gelais
Éclairages:Julie Basse
Musique:Mykalle Bielinski
Accessoires:Normand Blais
Chorégraphie:Claude Breton-Potvin
Assistance à la mise en scène:Caroline Boucher-Boudreau

Interprétation
Chantal Baril : Rose
Germain Houde : Robin
Danielle Proulx : Adèle

Une production du Théâtre Jean Duceppe
Directeurs artistiques:Jean-Simon Traversy et David Laurin
Partenaire  : Écoscéno
photo graphie : Droits réservés

Théâtre Jean Duceppe
Place des Arts
Du 26 février au 28 mars 2020
175, rue Sainte-Catherine Ouest
Montréal (Québec)
H2X 1Z8
Tél. : 514 842-2112 Sans frais : 1 866 842-2112

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