Après la publication de quatre livres flirtant avec différents styles littéraires, notamment la poésie, le roman et l’essai, Virginie Francoeur récidive avec un nouveau titre, à cheval entre les sciences et les arts. Sciences et arts – transversalité des connaissances, paru aux Presses de l’Université Laval, promet une incursion inusitée sur le point de rencontre de disciplines en apparence éloignées. Force est de constater que sa réflexion enrichira notre façon de percevoir le monde à travers des prismes colorés.
J’ai pu m’entretenir avec elle au sujet de son livre.
YL: Que s’est-il passé pour toi entre la parution de ton roman et de ce nouvel ouvrage, Sciences et arts, transversalité des connaissances?
VF: Beaucoup de choses! Après la parution de mon roman Jelly bean, j’ai déménagé en Espagne au début de l’année 2019, grâce à une bourse d’études « Citoyens du monde », j’ai été reçue à la Faculté de psychologie de l’Université de Valence pour un stage doctoral. Je me suis donc plongée dans un style d’écriture plus académique que littéraire. L’objectif du stage était de poursuivre ma thèse. Cette expérience m’a aussi amenée à faire une tournée promotionnelle pour présenter mon roman dans plusieurs villes d’Europe.
J’ai été ravie de voir qu’il y a eu un engouement pour mon roman de l’autre côté de l’océan. En lice pour le prix littéraire France-Québec 2019, cela a incité mon éditeur Druide de concert avec l’Association nationale des éditeurs de livres à m’inviter aux Salons du livre de Bruxelles, Genève et Paris. Jelly bean a rejoint des publics variés. Ensuite, le Bureau du Québec à Barcelone et l’Association internationale des études québécoises m’ont invitée à donner des conférences dans des libraires et dans quelques universités à Valence, Barcelone et Madrid. J’ai été agréablement surprise de constater que des professeurs avaient mis à l’honneur mon roman, dans des cours de littérature francophone, au sein de certaines universités en Espagne. Ils n’ont pas eu peur d’oser. Ces rencontres m’ont permis d’aborder, avec les étudiants, diverses thématiques très ancrées dans Jelly bean et qui sont universelles, entre autres, la place des femmes dans nos sociétés, l’obsession de la beauté ainsi que l’émancipation féminine.
Lors de ces rencontres, j’ai pu faire découvrir nos écrivains québécois à l’international. Et c’est, je pense, un bel accomplissement. Il faut souligner qu’il existe des rapprochements entre le Québec et Valence, par exemple, l’aspect langagier. Tout comme les Québécois, les Valenciens se représentent dans et par leur langue. Cela devient un outil d’affirmation identitaire. J’ai fait un parallèle avec les langues parlées au Québec et à Valence. Bien que je ne sois pas linguiste, j’ai évoqué les variantes vernaculaires. On pourrait dire qu’il y a « 3 langues » au Québec. Idem pour Valence. À Valence, les gens parlent le catalan, qu’on peut comparer au français, le valencien, qu’on peut rapprocher du québécois parlé, une langue dite plus populaire, car sous le régime franquiste, le valencien était associé au monde rural et au folklore, comme le joual l’était. Et enfin l’espagnol, qui est ce qu’était l’anglais pour nous, car pendant la période répressive de Franco, c’était la seule langue officielle, une langue nationale, alors qu’au Québec, il y a eu un déclin du français. À une certaine époque, pour avoir un job, il fallait travailler en anglais, c’était la langue du pouvoir comme l’espagnol.
Par ailleurs, une certaine mixité de langages devient une richesse autant au Québec qu’à Valence. Par exemple, au Québec, on peut évoquer les œuvres de Gaston Miron, Réjean Ducharme, Jacques Renaud, Lucien Francoeur, Michel Tremblay, José Yvon, Michèle Lalonde. Sans vouloir me comparer à ces auteurs, il faut constater que dans mon roman, j’ai voulu faire ressortir ces différents niveaux de langues. Une étudiante en Espagne m’a d’ailleurs révélé que, pour elle, le personnage principal de Jelly bean n’était pas Ophélie, Djamila ni même Sandra mais la langue elle-même. Il s’agit là d’une belle reconnaissance et qui démontre que je n’ai pas raté ma cible.
YL: Comment as-tu procédé au choix des œuvres que tu as présentées?
VF: D’abord, Sciences et arts comporte une première partie sous forme d’essai. Pour répondre aux problématiques soulevées, notamment du fait que les programmes universitaires sont de plus en plus spécialisés et que les arts sont devenus quasi ignorés en regard de la vision mercantile, j’ai proposé un projet d’exposition pour renverser cette tendance.
Depuis 2016, j’ai travaillé à la concrétisation de ce projet devenu livre. La mise sur pied de l’exposition nécessitait un investissement considérable en temps, énergies et ressources. J’ai cogné à plusieurs portes pour présenter mon projet, j’ai rencontré les doyens de différentes facultés de l’Université Laval pour enfin m’associer avec le département de littérature et de design graphique, des partenaires engagées dans la démarche de création. Par exemple, en littérature, Anne Peyrouse, écrivaine et directrice du certificat en création littéraire a procédé à la sélection des étudiants-participants. Quant au design graphique, les professeurs Sylvie Pouliot et Stéphane Vallée ont décidé d’intégrer le projet à leur plan de cours. Celui-ci devint le travail de session de leurs étudiants. Pour bien mener à terme ce projet, j’ai rencontré tous les étudiants-participants pour leur présenter les articles scientifiques qu’ils traduiraient sous forme artistique, mais aussi pour leur expliquer la direction et les objectifs du projet. Ensuite, un jury a été constitué pour choisir les œuvres les plus originales, celles qui seraient exposées.
Au final, douze travaux d’étudiants en design graphique furent retenus, comme en littérature. Dans les deux cas (littérature et design graphique), les étudiants devaient analyser des articles scientifiques en fonction de leur propre discipline artistique. La vision adoptée : provoquer un dialogue interdisciplinaire. Mission accomplie dans Sciences et arts !
YL: En feuilletant ton livre, je remarque que tu poses l’art comme outil de dénonciation de situations d’iniquité. Quelle est ta position éditoriale sur le sujet?
VF: Je souhaite sensibiliser les étudiants, professeurs, chercheurs et gestionnaires à l’importance des arts au sein des différents domaines du savoir. Les arts ne nous permettent-ils pas de percevoir différemment les réalités environnantes, donc d’être plus critiques et mieux outillés pour faire face aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux ?
Ce n’est pas que la mise de l’avant des arts que je préconise, car je crois fermement que pour réduire les iniquités sociales, nous devons briser les silos et favoriser la pollinisation croisée des savoirs. C’est cette collaboration qui nous permettra de proposer des dynamiques qui sortent des sentiers battus. Bien que je ne prétende pas apporter des solutions passe-partout, le livre a pour but d’amorcer un dialogue entre les différentes disciplines du savoir. Pourrait-on envisager de repenser les programmes universitaires en s’assurant de favoriser un savoir circulaire et non plus vertical ?
YL: Comment ton lectorat peut retrouver ta fibre littéraire en lisant ce livre? Quels projets te portent maintenant que cet ouvrage est lancé?
VF: Dans Sciences et arts on est dans un tout autre registre d’écriture que dans mon roman Jelly bean. Le lecteur pourra se retrouver dans mon écriture, car l’objectif de départ, qui consiste à confronter les paradigmes dominants et aller à contre-courant est toujours présent.
Projets futurs? Bien que je compte prolonger ma démarche de la transversalité des connaissances en reproduisant l’expérience à différents domaines du savoir, je n’ai pas pour autant délaissé la fiction. Plusieurs me demandent : à quand la suite de Jelly bean ? En plus d’y travailler, je me concentre sur la scénarisation d’un rockumentaire sur la vie de mon père « Francoeur last call », en collaboration avec les Productions Fata Morgana : https://sodec.gouv.qc.ca/la-sodec-soutiendra-17-projets-en-scenarisation/. Ces projets d’écriture vont continuer à m’alimenter pour la prochaine année.
L’auteure tient à remercier tous les participants de l’exposition Sciences et arts ainsi que les artistes-illustrateurs du livre, André Boucher et MC Duval.
Sciences et arts se veut l’aboutissement d’un travail colossal réalisé par Virginie Francoeur avec de nombreux partenaires. On retrouve des explications claires sur la démarche et un regard neuf sur l’importance des échanges interdisciplinaires pour mieux comprendre notre monde. Il n’y a d’enrichissement possible que par le partage.
Vous pouvez en consulter un extrait sur l’entrepôt numérique de Cantook, ou écouter une entrevue enregistrée le 23 décembre 2019 lors de son passage à Radio-Canada. Virgine Francoeur collabore aussi à l’émission Les sales des nouvelles sur CJMD. Vous pourrez écouter son intervention dans la balado du 15 avril dernier (à partir de la minute 103:45) où elle parle du statut des femmes durant le confinement et sur le Salon international du livre de Québec qui a dû être annulé cette année.