Jusqu’au 24 novembre, La Bordée présente The Dragonfly of Chicoutimi. Le texte de Larry Tremblay, mis en scène par Patric Saucier, a de quoi piquer votre curiosité théâtrale, bien que tout le monde sait que les libellules ne piquent pas, mais pourtant…

La pièce

Après des années de silence résultant d’un traumatisme, Gaston Talbot, originaire de Chicoutimi, se réveille d’un rêve étrange pour découvrir qu’il a perdu l’usage de sa langue maternelle. Dans un anglais syntaxiquement contaminé par le français, il nous fait le récit de sa vie et de ce rêve où il se transforme en libellule et s’envole au-dessus de sa ville natale.

D’entrée de jeu, le spectateur peut rester déboussolé par le fait que la pièce est jouée en anglais. Après quelques minutes, on apprivoise la situation, tout en étant à la merci de la vue subjective du personnage principal, qui dévoile peu à peu des histoires du passé entremêlées d’un rêve troublant. Il est difficile d’en dire plus sans dévoiler l’intrigue qui se déploie habilement sur un fond dramatique.

Jeu des comédiens

Jouée avec brio par Jack Robitaille (Gaston Talbot) et Sarah Villeneuve-Desjardins (La mère et la préposée), Les 75 minutes de la pièce défilent à bon rythme, sans longueur. Je salue la performance des deux comédiens qui se partagent la scène: Robitaille pour déclamer un texte en anglais, et Villeneuve-Desjardins pour ses talents en chant.

Mise en scène

C’est un univers complexe qui s’offre à l’auditoire, malgré l’apparente simplicité de la pièce. Le chevauchement du présent et de la description du passé et du rêve peuvent dérouter. La lecture proposée par Patric Saucier se matérialise dans une mise en scène qui supporte habilement le discours – un long monologue – du personnage principal. Elle permet à la fois de clarifier les ambiguïtés et dévoiler l’état psychologique du personnage. L’ingénieuse plateforme mobile où se déroule la pièce reprend quelques éléments du texte de Larry Tremblay, notamment les bâtonnets de popsicle géants qui viennent en orner le plancher, ou encore la devanture de la maison familiale où Talbot a grandi.

Regards sur le théâtre de Larry Tremblay

Larry Tremblay est l’un des dramaturges québécois contemporains les plus marquants et les plus récompensés. Sa dernière oeuvre la plus marquante est L’orangeraie, un roman qu’il lui-même écrit et adapté pour le théâtre. The Dragonfly of Chicoutimi a été mis en lecture pour la première fois en 1994. Incarné par le regretté Jean-Louis Millette de 1995 à 1999, peu de comédiens ont porté le rôle de Talbot depuis. La présentation de la pièce au Théâtre de la Bordée démontre l’engagement de l’institution à faire découvrir du théâtre à la fois marquant et singulier, à l’image de l’univers diversifié des œuvres de Tremblay.

Appréciation de la pièce

J’aime le théâtre qui dérange. Celle-ci possède cette qualité de l’inattendu, dans son exploitation du langage. Replacée dans son contexte historique, on peut présumer que l’auteur prend position sur l’identité québécoise et son aliénation vis-à-vis la langue, comme le souligne Marie Labrecque en 1996:  « Construite au fil de digressions, la pièce est douée d’une qualité onirique qui déjoue l’apparente simplicité du propos et de la langue. Baignant dans la nostalgie des choses éteintes, The Dragonfly évoque le cauchemar des peuples minoritaires complexés par leur petitesse, face à la puissance d’autrui. Et, au premier chef, le nôtre…»  Voir, du 18 au 22 avril 1996.

Pourrait-on tracer un parallèle dans la tragédie de Talbot avec celle de Lennie dans Des souris et des hommes?  Peut-être dans leur maladresse et leur simplicité d’esprit…

The Dragonfly of Chicoutimi, à voir et à entendre au Théâtre de la Bordée jusqu’au 24 novembre 2018.

CRÉDITS

TEXTE : Larry Tremblay
MISE EN SCÈNE : Patric Saucier
ASSISTANCE À LA MISE EN SCÈNE : Edwige Morin
DÉCOR : Vanessa Cadrin
COSTUMES : Dominique Giguère
LUMIÈRES ET VIDÉO : Keven Dubois
MUSIQUE : Emilie Clepper