POUR QUE TU MÈMES ENCORE

Penser nos identités au prisme des mèmes numériques

Phénomène socioculturel protéiforme, les mèmes tels que nous les déployons dans le cadre de nos échanges en ligne se démultiplient, se disséminent et se réinventent au point de caractériser ce qu’il est désormais convenu d’appeler notre « condition numérique ». De leur création à leur appréciation en passant par leur partage et leur circulation, ces productions mémétiques encapsulent, en les matérialisant, plusieurs enjeux (sémiotiques, pragmatiques, idéologiques, etc.) liés aux communications sur le Web. Dans le cadre d’un collectif qui réunit une dizaine de spécialistes francophones (du Canada et de la France), il s’agira ici d’identifier quelques-uns des usages sociaux et communicationnels des mèmes et des enjeux plus précisément identitaires ainsi soulevés : en soulignant ce qu’ils sont et, surtout, ce qu’ils font (et comment ils le font), nous en arriverons à préciser ce que nos mèmes disent de nous-mêmes, à la fois individuellement et collectivement.

Véritable fascination numérique du XXIème siècle, les  »memes », bien que pourtant largement répandus sur internet, évoluent si rapidement qu’il est parfois difficile de bien cibler ce dont il s’agit. En réalité, on peut considérer le meme comme un language, un outil, un phénomène multiforme.

Apparu dans les années 2000 sur des forums de discussions tel que 4chan, les memes sont peut-être un des phénomènes qui représentent le mieux la société contemporaine : évolution excessivement rapide, formes fluides, viraux. Au début un meme pouvait simplement représenter une photo d’une personne commettant une bévue, accompagnée du mot  »fail » (voir le fameux failblog.org). D’autres sites vers la fin des années 2000 (comme 9GAG), sont devenus des  »hub » pour recevoir les nouveaux memes, toujours plus drôles, toujours plus vulgaires, toujours plus actuels. Comme tous languages, les memes possèdent leurs codes (sociaux, référentiels, politiques, etc). Mais parfois, certains memes se rapprochent des oeuvres d’arts visuels au sens où on peut trouver plusieurs interprétations dans la seule superposition d’une image accompagnée d’un intitulé. Certains memes se rapprochent du génie, et une immense quantité d’entre eux sont simplement médiocres.

L’essai dirigé par Mégane Bédard et Stéphane Girard nous propose dix courts textes abordant sous différents angles le phénomène du meme. On y parle des conditions de leur naissance, de comment les memes remixent le discours esthétique, comment ils peuvent servir dans l’articulation et la propagation des discours idéologiques, mais aussi comment ils peuvent impacter le réel (dans le cas des élections fédérales 2019 au Canada). D’une certaine manière, les memes sont performatifs car ils créent des réalités par le simple fait de les énoncer. Dans cette fabrication ultra-rapide et incessante, on ne peut considérer les memes que comme un simple outil pour faire rire (et parfois réfléchir). Très souvent à vocation humoristique, une simple image peut faire le tour du monde en peu de temps (la photo de Bernie Sanders lors de l’inauguration du président Biden aux USA en 2021). Vecteur très puissant, le rire peut servir à aboutir une pensée collective tout autant que l’entraver et la discréditer. Comme tout outil, on peut construire avec ou détruire.

Malgré que certains passages risquent d’être un peu moins accessibles à quiconque ne maîtrise pas forcément un vocabulaire plus académique, le livre  »Pour que tu memes encore » (hommage pop à la chanson de Céline Dion) offre des points de vus variés et en profondeur, permettant d’en apprendre plus sur les fondements et les possibilités de ce langage numérique qui évolue en réalité bien trop vite pour qu’il soit possible d’imaginer ses limites. Le meme vaut néanmoins le coup que l’on s’y attarde, et cet essai nous y aidera, non pas comme un phénomène effervescent et éphémère, mais comme un outil qui est là pour rester.

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Titre:  Pour que tu mèmes encore

Auteurs.trices : 

Megan Bédard

Stéphane Girard

Jean-Michel Berthiaume

Patrick Couture

Allan Deneuville

Simon Fitzbay

Mireille Lalancette

Alexandra L. Martin

Elsa Novelli

Justine Simon

Thibaud Vaillancourt

Collection: Cultures vives

248 pages

Parution: 2021

https://editionssommetoute.com/Livre/pour-que-tu-memes-encore

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11 BREFS ESSAIS POUR DES VILLES RÉSILIENTES ET DURABLES

Réflexions de la relève municipale

« Les villes peuvent sauver le monde. » La formule est devenue classique. Que ce soit en développant les réseaux de transport, en protégeant les milieux naturels, en planifiant la densification des agglomérations ou encore en organisant la gestion des matières résiduelles, ces gouvernements de proximité sont en effet au centre des enjeux écologiques du XXIe siècle. En revanche, si plusieurs leviers de pouvoir déterminants dans la transition verte et durable se trouvent entre les mains des administrations municipales, leur actionnement semble rester timide dans beaucoup de villes et municipalités québécoises.

11 brefs essais pour des villes résilientes et durables donne la parole à la nouvelle génération d’élu.es d’ici. Ensemble, ils pointent les failles, indiquent les écueils, réinventent les moyens, développent les solutions et tracent la voie vers les communautés de demain. Il est encore trop tôt pour savoir si les villes sauveront bel et bien le monde, mais les dix auteur.rices réuni.es ici nous prouvent que certain.es élu.es tentent déjà de le faire, de Gatineau à Sainte-Luce, en passant par Granby, Rimouski, Saint-Camille et plus encore.

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Bien que les villes soient construites et habitées par des citoyen.nes, ceux et celles-ci n’ont malheureusement pas toujours leur mot à dire quant à la manière de gérer leurs espaces commun de vie. Véritables carrefours où s’entrecroisent les communautés et les savoirs, les villes, et plus précisément les municipalités, offrent de merveilleuses opportunités pour imaginer le vivre-ensemble de demain.

Malheureusement, depuis quelques décennies, il reste relativement difficile pour le.la citoyen.ne moyen.ne de participer à la vie politique telle qu’on la connait. Ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre de suivre les activités politiques de sa municipalité ou arrondissement, et encore moins de pouvoir se présenter à chaque conseil municipal pour y mettre son grain de sel sur les décisions importantes impactant la vie municipale. Les dernières années (accentuées par la pandémie) ont mises la population québécoise face à une crise sans précédent. Au risque de se répéter, chaque crise est bonne à prendre. Elles nous mettent devant l’inévitable, devant les défis parfois trop longtemps ignorés et niés.

Comme nous le savons, la population ne peut plus compter (et peut-être n’aurait jamais dû compter) entièrement sur les gouvernements fédéraux et provinciaux pour trouver et développer des solutions face aux enjeux majeurs à venir (notamment la crise climatique). Les habitant.es des villes, là où se trouvent la grande majorité de la population québécoise, commencent à se mobiliser et à proposer des initiatives innovantes. C’est dans ces initiatives que l’essai Des villes résilientes et durables puisent son inspiration. Ces onzes brefs essais sont écrits par des personnes grandement actives dans la sphère politique municipale. Les sujets sont aussi variés que convergents : écologie, souveraineté alimentaire, crise des inondations, villes intelligentes … – en moins de 200 pages, on peut avoir un bel horizon des sujets qui taraudent et survolent nos vies québécoises.

Longtemps envisagées comme de simples rouages d’une chaîne d’actions gouvernementales, les municipalités sont maintenant vu comme le fer de lance, comme un de nos plus grands atouts pour organiser notre survie dans les prochaines décennies. Plus questions de s’occuper uniquement de la voirie où de récolter les taxes des habitant.es : les municipalités, grâce à leur mode de gouvernance plus souple que le modèle provincial (grâce à leur échelle réduite), peuvent amener des changements majeurs parfois en l’espace de quelques mois. Nassim Nicholas Taleb (probabiliste et économiste s’intéressant à la gestion des risques) suggérait déjà en 2005 que les modes de gouvernance gagneraient à revenir à une échelle réduite, celle des villages, des hameaux et des municipalités pour organiser la vie quotidienne et locale, plutôt que de passer par un modèle centralisé et global. Il rappelle également que plus le modèle est gros, plus il devient fragile à quelconque crise. Dans une ère de globalisation majeure et où les systèmes deviennent grandement interdépendants, revenir à quelque chose de plus simple, à une échelle plus humaine, tombe sous le sens.

Le seul bémol envisagé dans cet essai est peut-être une certaine répétition des enjeux, de certains problématiques (nous connaissons tous.tes la situation de crise actuelle, et ses conséquences, causée par la pandémie de COVID-19) qui auraient gagnées à être condensées plutôt que répétées sur plusieurs textes. En même temps, on peut comprendre que tous.tes les auteurs.trices partent d’un contexte provincial/mondial semblable, même si leur contexte local diffère (les inondations ayant eu lieu à St-Jean-sur-Richelieu, par exemple). Également, certaines tournures de phrases utilisées rappellent la froideur générique que l’on retrouve dans des discours politiques, phrases qui malheureusement dans l’ensemble perdent de leur sens ou peuvent être comprises comme on le désire. Cela fait naître la problématique d’offrir des interprétations potentiellement floues aux lecteurs.trices, en fonction de leurs biais. On dit souvent qu’il faut  »proposer des solutions sur mesures qui puissent convenir à la collectivité », mais on reste en surface sans aborder les enjeux de discrimination ou de manque d’accessibilité qui sont souvent intrinsèquement reliés à la croissance économique que le politique garde toujours dans sa ligne de mire. Peut-on vraiment construire des villes résilientes sans parler de décroissance, de pertes de nos privilèges, de changements radicaux, de manque de structures pour l’intégration des nouveaux.elles arrivant.es ? Peut-on parler de villes intelligentes sans réfléchir à l’impact énorme de la pollution numérique créée par ces mêmes initiatives ? Peut-on parler d’agriculture locale et éthique sans aborder la notion de spécisme et d’exploitation envers les animaux ? Comment imaginer une ville écologique si les règlements municipaux sont contradictoires à la pensée écologique (pensons notamment aux règlements qui obligent les citoyen.nes à  »entretenir leur terrain », permettant à la monoculture du gazon, si polluante et destructrice, de se perpétuer) ? Quels impacts ont les initiatives visant à nourrir et soutenir la collectivité, si au final une partie des habitant.es sont exclu.es dû à un manque de connaissance des élu.es municipaux vis à vis leur situation (racisme, capacitisme, sexisme, etc.) ? Peut-être aurait-il été intéressant d’aller un peu plus loin dans le discours critique en proposant des idées radicales, quitte à prendre le risque de créer de nouveaux paradigmes.

Quoiqu’il en soit, le vocabulaire utilisé dans cet essai rend le tout accessible et sans prise de tête, tout en proposant une diversité des points de vu sur les situations municipales de quelques régions au Québec. Des villes résilientes et durables, accompagné d’une préface de Jonathan Durand-Folco est un livre actuel et pertinent qui mérite que l’on y plonge sans hésitation.

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Titre:  11 brefs essais pour des villes résilientes et durables

Auteur: 

Maïté Blanchette Vézina

Maryline Charbonneau

Loïc Blancquaert

Emile Grenon-Gilbert

Julie Bourdon

Philippe Pagé

Marie-Frédérique Ouellet

Myriam Nadeau

Stéphane Boyer

Collection:  11 brefs essais

192 pages

Parution:  2021

https://www.editionssommetoute.com/Livre/11-brefs-essais-pour-des-villes-resilientes-et-durables

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LE BANQUET DES PETITES PERSONNES OU LA POLITESSE DU DÉSESPOIR

Gisèle ne rit pas. Elle n’arrive même pas à sourire parce qu’elle trouve que nous, « les êtres humains », nous sommes peu humains. Elle est convaincue que rire, c’est d’accepter le monde tel qu’il est. Désespérée, elle va consulter son médecin de famille. Toute l’action se passe dans cette clinique bien particulière où l’on retrouve le docteur Schwitters et son comparse Igor, deux individus peu communs, qui accordent justement une place d’honneur à la plaisanterie. Ils s’acharneront sur Gisèle et tenteront de lui prouver que l’humour est la politesse du désespoir.

Le grand Michel Garneau s’est éteint à l’automne dernier, laissant derrière lui des dizaines d’oeuvres littéraires ayant marqué le Québec depuis 50 ans. Parmi celles-ci se retrouvent  »Le banquet des petites personnes ou La politesse du désespoir », courte pièce de théâtre de 90 pages s’interrogeant sur la place et l’impact de l’humour dans la société. Écrit en 1996, on peut déjà dire que le propos ne vieillit pas et que la langue utilisée est toujours actuelle. La pièce tourne autour du personnage de Gisèle qui ne rit plus. Pour elle, rire c’est s’affaiblir, c’est céder à la violence du monde.

 »parce que je veux pas donner raison au monde

je ris pas

parce que je veux pas m’abandonner au monde

tel qu’il est

moi il me semble que rire

c’est consentir »

Igor, le mari de la Docteure Schwitters, pense autrement :  »qui ne rit pas consent ! »

La pièce à trois personnages se situe dans un seul lieu, celui du cabinet de la docteure. On peut y voir une métaphore sur notre capacité à l’autocritique, à l’autoréflexivité. Comme un examen de conscience. Aurions-nous dû rire à cette blague déplacée ? Est-ce que j’ai été trop loin quand j’ai fait une blague sur X ? De qui rit-on, et pourquoi ?

L’humour sert de miroir pour valider si nos consciences sont toujours à la bonne place, dans la bonne direction. Dans cette oeuvre, Garneau arrive à superposer, dans une écritrue fluide et brillante, la situation des trois personnages en lieu clos ainsi qu’une réflexion de fond sur la place de l’humour dans la société québécoise (intelligemment accompagnée d’une intro en trois parties, dont cet extrait) :

 »au coeur de nos cultures

trois valeurs commerciales règnent :

la toune que ses pratiquants nomment musique

l’humour

et le spectacle de la violence »

Dédié à publier toute l’oeuvre de Michel Garneau, les éditions Somme Toute permettront de (re)découvrir certains de ses écrits peut-être un peu moins connus pour le bonheur de tous.tes. À la fin de la lecture, plusieurs questions restent en suspens, dont celle-ci, fondamentale et métaphysique :

 »est-ce

que le Rire est Humour

est-ce que l’Humour est Comique ?

est-ce que le Comique est le Rire ? »

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Titre: Le banquet des petites personnes ou La politesse du désespoir

Auteur: Michel Garneau

Collection: Répliques

96 pages noir et blanc

Parution: 2021

https://editionssommetoute.com/Livre/le-banquet-des-petites-personnes-ou-la-politesse-du-desespoir

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BAGELS

Bagels est une novella illustrée, un récit fragmenté qui parlent de ces gens qui demeurent auprès de nous même quand on ne veut pas de leur aide. C’est une douzaine d’hommages offerts aux personnes qui étaient là quand Fanie Demeule cherchait à déterrer (s)es os. L’arôme sucré de la pâte à bagel lui rappelle aujourd’hui qu’il y avait bel et bien une grâce dans ces visites chez St-Viateur avec son père, les lundis soirs, après ses rencontres avec la psy.

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Fanie Demeule est une autrice connue pour aborder le sujet délicat des troubles alimentaires. Cette fois-ci, l’autrice prend la direction du livre au récit fragmenté, accompagné de quelques belles illustrations signé Amélie Dubois.

Avant, je trouvais que douze bagels, c’était beaucoup, comme je m’imaginais qu’une décennie, c’était long. Il n’en est rien. Dix ans, la dernière fois où nous sommes allés chercher des bagels sur St-Viateur, un lundi soir. Je me souviens en avoir mangé un, au pavot. Pas au complet, mais quand même. Mes parents n’ont pas souligné l’exploit, conscients de sa fragilité.

Le choix des fragments est dès lors une forme efficace qui nous permet d’entrer en contact avec le sujet du trouble alimentaire, petit à petit, bouchée par bouchée. Les illustrations ont quelque chose d’apaisant, accompagnant et contrastant avec le récit de Demeule racontant ses séances chez la psychologue dès son jeune âge, pour apprivoiser son trouble alimentaire. Le rituel de s’arrêter après les séances, pour son père, dans une boulangerie montréalaise pour acheter des bagels offre une fenêtre sur un contraste triste et touchant des personnes qui veulent à tout prix nous aider, quitte parfois à nous alourdir. S’empare de nous alors cette pression qui noue l’estomac, cette pression de devoir manger tout en ne voulant rien ingérer. Cette angoisse d’ingérer quelque chose pour faire plaisir à autrui, parce qu’il faut se nourrir, il faut grandir. Espérer que personne ne fera de remarque sur la quantité de nourriture absorber (ou non). Rapidement on se prend d’empathie pour la jeune protagoniste et on embarque avec elle dans les vagues d’émotions envahissant certains moments clés de son enfance.

Ce livre nous permet de voir les deux côtés de la médaille : la nécessité et l’importance d’avoir un entourage sain et compréhensif quand nous traversons une période difficile, mais la pression que cela peut représenter de devoir atteindre un objectif et plaire à son entourage pour leur montrer qu’iels ne nous aident pas en vain. Parfois, à trop vouloir aider on peut finir par empirer la situation.

Bagels est un livre qui se lit d’une traite et offre un discours touchant et accessible, autant pour des jeunes que des lecteurs.trices plus aggueri.es.

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Éditeur :HAMAC

Collection :HAMAC-ILLUSTRÉ

Date de parution :09 AOÛT 2021

Rayon :LITTERATURE QUEBECOISE

Format :BROCHÉ

ISBN :9782925087366

https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/bagels-demeule-fanie-9782925087366