Deux écorchés, deux blessés graves. Ce sont les personnages principaux de Blackbird, une pièce de David Harrower mise en scène par Olivier Lépine. Dans un enchevêtrement savant de dialogues et de malaises, Una et Ray revivent des moments intimes qui ont chamboulé leurs vies.
Le synopsis proposé par Premier Acte est clair:
C’est arrivé il y a quinze ans.
Ils ne se sont pas revus depuis. Il a fait six ans de prison, a changé d’identité, a reconstruit sa vie. Elle est restée confinée au quartier où ça s’est passé. Jusqu’à ce qu’elle tombe par hasard sur sa photo dans un dépliant. Un cliché qui la replonge dans les méandres de l’histoire nébuleuse et irrésolue qu’ils ont vécue.
Il y a quinze ans, Una et Ray se sont aimés.
Mais entre une jeune fille de 12 ans et un homme d’une quarantaine d’années, peut-on parler d’amour ?
Pour élucider cet épisode qui a fait voler son existence en éclats, Una va à la rencontre de Ray. Elle le surprend à son lieu de travail, un entrepôt, où prend place un huis clos qui résonne comme quinze années de silence, d’incompréhension, de doute.
Je pensais que ce serait plus difficile de te regarder. De parler.
J’ai failli repartir.
Mais non. C’est facile.
Et je t’aurais reconnu n’importe où. Même dos à toi.
J’ai vu tes yeux avant même que je dise mon nom.
Je t’ai vu.Le doute. Nous le portons tous. Collectivement, nous questionnons plus que jamais les limites de la légitimité sexuelle. Avec ce premier spectacle à la langue acérée et chirurgicale, L’Apex effectue une prise de parole nécessaire sur un sujet actuel et brûlant.
Pour les acteurs comme pour les spectateurs, Blackbird est un marathon couru comme un sprint. C’est essoufflant. Remuant. Vivant.
On se retrouve dans une cafétéria en désordre, mal nettoyée. Ce huis clos met la table à un nettoyage de détritus qui sont restés là au fil du temps. Des déchets qu’on doit ramasser à cause des autres, un peu à l’image des émotions qui sont ressenties par les personnages, qui sont habilement joués par Gabrielle Ferron et Réjean Vallée. Une intensité palpable, un jeu subtil entre la crainte et l’abandon, la colère et la douceur.
Nous les suivons donc, ces deux personnages, dans leur rencontre confrontante qui se veut le point culminant d’une séparation dramatique sur plusieurs années. Il y a quelque chose de la tragédie grecque dans cet événement qui a troublé leurs destins, où l’un et l’autre se perdent, faisant que leurs vies basculent. Procès et prison pour l’un, procès et jugement de l’entourage pour l’autre. Personne n’en sort indemne.
Ils essaient de comprendre, de partager maladroitement leur douleur, se rapprochent, s’éloignent dans une chorégraphie physique et douloureuse. Qui est la victime? Y a-t-il vraiment eu abus? On dirait qu’ils s’aiment encore, malgré tout ce qui s’est passé. Mais le poids des années a nourri le doute, celui qui nous guette à tout moment.
C’est là que tient la force de cette pièce: le questionnement fondamental du doute. Une fois qu’il s’est installé, peut-on vraiment s’en départir?
Je ne peux parler de la finale de la pièce. C’est un moment tellement bien amené que la chute en est déstabilisante. Nous sommes habitués, à Québec, à des standing ovations à chaque représentation théâtrale. Ici, le public est tellement pris de court par cette poussée dramatique en coup-de-poing qu’il peine à s’exprimer. C’est du moins ce que j’ai ressenti quand les lumières se sont éteintes.
Blackbird, une pièce qui ne laissera personne indifférent.
Présenté à Premier Acte jusqu’au 23 février.
Production : | L’Apex |
Texte : | David Harrower |
Traduction : | Zabou Breitman, Léa Drucker |
Mise en scène : | Olivier Lépine |
Assistance à la mise en scène : | Lauren Hartley |
Concepteurs : | Marianne Lebel, Olivier Lépine, David Mendoza Hélaine |
Distribution : | Gabrielle Ferron, Réjean Vallée |